Point de vue

Hypothèses sur le crash du vol Rio-Paris, par Christian Morel

LE MONDE | 23.06.09 | 13h47


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'agissant de l'accident du vol AF 447, deux idées circulent abondamment : la défectuosité des sondes Pitot et le fait que la zone de convergence intertropicale traversée par l'avion n'avait rien d'exceptionnel. Pourtant d'autres réflexions peuvent être formulées. Sans doute les enquêteurs y travaillent. Mais pourquoi n'en parlerait-on pas ?

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Un expert en météorologie, Tim Vasquez, a publié sur son site un article cité par l'Aviation Safety Network de la Flight Safety Foundation. A partir d'informations satellitaires très précises sur la situation météorologique et de données sur la trajectoire de l'appareil, il en a déduit que l'avion au moment de sa disparition (fin des transmissions Acars) se trouvait dans un amas de cellules orageuses plus ou moins violentes (appelé en termes techniques MCS, Mesoscale Convective System), et plus particulièrement dans une zone de courants ascendants.

Selon lui, "le vol sans aucun doute a pénétré dans un système d'orages... L'A330 devait avoir volé à travers des turbulences et activités orageuses significatives durant environ 75 milles (125 km), représentant une durée de vol de douze minutes". Cette estimation a été confirmée par un chercheur sur l'atmosphère de l'université d'Etat du Colorado. Ces conditions atmosphériques à ce stade ne peuvent pas expliquer la disparition de l'avion. Mais la publication de cet article sur Internet a suscité une discussion réservée aux professionnels de l'aviation et de la météo qui donne des éléments très instructifs.

Lisons ce témoignage d'un pilote transatlantique : "(...) Le phénomène météo dont j'ai été témoin se situe dans la zone générale du crash Air France, en mai 2001, quand je revenais de Buenos Aires et allais en Espagne en B743. Au large de Rio, nous suivions la même trajectoire que l'Airbus d'Air France, et en passant la zone de l'accident en traversant le front intertropical à l'altitude de F370 (37 000 pieds), nous avons rencontré des turbulences de modérées à sévères. Pendant une à deux minutes de vol, nous fîmes alors l'expérience d'une hausse soudaine de la température extérieure. Elle passa de - 48 °C à - 19 °C. En conséquence de cet écart de température, l'avion commença à plonger, avec de très fortes oscillations. J'ai déconnecté le pilotage automatique et nous avons chuté en perdant 4 000 pieds... Nous n'étions pas loin du cimetière, et je suis certain que si nous n'avions pas désengagé le pilotage automatique et repris le contrôle dans la descente, nous serions nous-mêmes au fond de l'Atlantique. Depuis, j'ai volé en A340 sur ces trajets, et je n'ai pas retrouvé ces mêmes conditions - conditions que je n'aurais jamais cru possibles en quarante ans de pilotage."

Ce cas évoque un phénomène peu connu, dont la probabilité serait faible mais non nulle : des sortes de poches d'air particulièrement chaud à haute altitude dans les systèmes orageux qui perturberaient fortement le comportement et le pilotage des avions. Dans la discussion, plusieurs pilotes témoignent avoir rencontré de surprenants changements de température à haute altitude, avec des réactions rapides de l'appareil.

Ces anomalies chaudes exceptionnelles seraient un peu l'équivalent pour les avions des vagues scélérates pour les bateaux : des phénomènes rares, très dangereux et peu expliqués (leur existence est même contestée par certains).

Par ailleurs, quel que soit le type de turbulence, le crash du Boeing 720 de Northwest Airlines, le 12 février 1963, mérite d'être ici signalé. Peu après son décollage de Miami, l'appareil est entré dans une zone de fortes turbulences dont les courants ascendants l'ont fait grimper de façon anormale (9 000 pieds par minute). Selon la commission d'enquête, le ralentissement dans la montée (la vitesse est tombée de 270 à 215 noeuds) et la position inclinée vers le haut de l'appareil (22 °) ont probablement conduit les pilotes, pour éviter un décrochage, à faire plonger l'appareil.

En raison d'un léger retard de réaction lors de la descente et de commandes qui ont mal répondu du fait de l'accélération, la vitesse s'est amplifiée et l'avion s'est disloqué. Cet accident démontre que des turbulences et le pilotage très délicat qui en découle peuvent avoir rapidement un effet destructeur sur un avion. Entre le début de la descente et la dislocation de l'appareil, il s'est passé vingt secondes. Ni givrage, ni foudre, ni problèmes de sondes ne sont intervenus dans cet accident.

Une question à poser est de se demander pourquoi l'avion a pénétré dans le système orageux, si tel est le cas. Peut-être les indications radar n'étaient pas dissuasives. Un intervenant dans la discussion sur l'article de Tim Vasquez souligne que le carburant consommé dans les contournements et le retard potentiel induit peuvent jouer un rôle dans la décision de ne pas contourner un système météo.

Selon lui, beaucoup de compagnies aériennes ne permettraient pas à leurs équipages de dévier de plus de 10 milles nautiques pour éviter un orage (à moins d'une urgence déclarée par le commandant de bord). Je ne sais pas quelles sont les consignes chez Air France. Le discours officiel des compagnies aériennes est que les pilotes sont les seuls juges des opérations à effectuer.

Pourtant une étude du Massachusetts Institute of Technology de 1999 a montré que les équipages avaient tendance à pénétrer dans un temps convectif (pluie, orage, vent) plus souvent en approche qu'en croisière. La volonté d'éviter un coûteux déroutement est probablement un des facteurs qui jouent dans ce comportement. Selon cette enquête, les avions ont plus tendance à pénétrer dans le mauvais temps en approche lorsqu'ils ont au moins quinze minutes de retard sur leur horaire. Ces considérations montrent que les phénomènes météorologiques, en dépit de toutes les connaissances accumulées et des moyens technologiques mis en oeuvre, présentent des éléments indéterminés qui restent des points de fragilité pour la navigation aérienne. Le précédent accident d'Air France, la sortie de piste d'un Airbus à Toronto le 2 août 2005, est lié aux conditions météorologiques.

Le bureau de la sécurité des transports du Canada a conclu que l'appareil avait atterri en dépit d'un orage induisant une distance d'atterrissage dépassant la longueur de la piste. Le climat reste un défi pour les compagnies aériennes, y compris pour une compagnie comme Air France, à juste titre réputée pour sa politique exemplaire de sécurité des vols.


Christian Morel est sociologue, auteur de "Les Décisions absurdes" (Gallimard, 2002).

 

Article paru dans l'édition du 24.06.09