La chronique de Pierre Marcabru.
Publié le 08 juillet 2006
Actualisé le 08 juillet 2006 : 07h51
Jadis, on allait au marché aux esclaves pour acheter des
esclaves et au marché aux oiseaux pour acheter des oiseaux. Il n'y a plus de
marché aux esclaves, et guère de marché aux oiseaux. Mais il y a encore des
marchés aux enfants. Certes, on n'adopte pas un enfant comme on achète un
rossignol que l'on ramène en cage à la maison. Mais l'adoption, si elle relève
du coup de coeur, et, plus encore, d'une nécessité intime, profonde, secrète,
est aussi une façon d'apporter au foyer une présence nouvelle, mystérieuse et
magique, dont le chant brise un silence devenu trop pesant. Il s'agit, le plus
souvent, d'un rêve, d'une soif, d'une passion, et, d'abord, de combler un vide,
une absence, un manque d'amour, de chaleur et de vie. Il s'agit de créer une
famille à laquelle on ne croyait plus, tant elle semblait lointaine,
hypothétique, à jamais refusée.
Bref, adopter c'est se rendre heureux en rendant un enfant
heureux, et ainsi braver le destin. Rien ne se fait, ici bas, sans un brin
d'égoïsme. Égoïsme généreux, certes, mais celui qui adopte songe d'abord à son
bonheur. Ce n'est pas l'enlèvement des Sabines, mais il arrive encore que
l'enfant tant souhaité soit vendu contre argent comptant, devienne une
marchandise sur quoi on se jette, et dont on fait fiévreusement sa chose, son
bien, en oubliant que c'est un être humain qui lui aussi a ses exigences, et
que l'adoption n'est pas un rapt. Il y faut beaucoup de doigté, de finesse, de
prudence, et une méfiance devant ses propres engouements qui n'est pas toujours
de saison quand l'impatience vous gagne. L'adoption n'est pas un droit, mais un
acte d'amour qui, comme tous les actes d'amour, peut avoir des conséquences
imprévisibles.
Nous ne sommes pas responsables de nos parents, mais
biologiquement, génétiquement, nous sommes, pour le meilleur et, parfois, pour
le pire, étroitement, physiquement, liés à eux. L'enfant adopté, lui, vient
d'ailleurs, souvent de loin, c'est un étranger que l'on accueille, il sera,
peut-être, mieux traité, mieux aimé, mieux compris, qu'un enfant légitime,
parce qu'il aura été librement choisi, mais, aussi choyé soit-il, lorsque l'âge
viendra, il se retrouvera seul avec lui-même dans un monde qui n'est pas le sien,
et où il est entré comme par effraction. Certains s'en accommoderont, d'autres
pas. Tout tient, pour l'essentiel, à la manière dont l'entourage l'acceptera
non pas tel qu'on veut qu'il soit, mais tel qu'il fut à sa naissance. En ce
combat, toujours incertain, entre l'hérédité et le milieu, l'enfant adopté doit
rester libre de lui-même, de ses goûts, de ses tentations, de ses appels. Si
l'adoption n'est qu'une volonté de possession, qu'un désir passionnel
d'appropriation, avec tout ce que cela comporte d'irréflexion, d'inconséquence
et, parfois, de provocation, elle peut conduire aux pires désordres. Dès
l'instant que l'on veut qu'un enfant, qui n'est pas le vôtre, vous ressemble,
non pas charnellement, ce qui est impossible, mais intellectuellement, moralement,
dans ses penchants, dans ses choix, dans ses songes, on le détourne de lui-même
pour qu'il soit plus proche de vous.
Deux femmes, qui s'aiment d'amour tendre, adoptent une
petite fille, imagine-t-on qu'elles l'élèveront dans l'espoir qu'à 15 ans elle
tombera dans les bras d'un garçon ? Croit-on vraiment que deux hommes, qui
s'occupent le mieux du monde d'un gamin, tentent de le rendre plus vif, plus
intelligent, n'auront pas quelque désappointement à le voir, adolescent, courir
les filles ? Ne soyons pas naïfs, les homosexuels peuvent élever des enfants
tout aussi bien que les hétérosexuels, et il est des pères et des mères
légitimes infiniment plus calamiteux, et à qui on a toléré, au nom de
l'autorité paternelle ou maternelle, pendant des siècles, les pires excès. Là
n'est pas la question. Elle est dans le simple fait que l'enfant adopté par des
homosexuels, hommes ou femmes, en entrant dans une famille entre aussi dans une
communauté qui a sa morale, ses règles et ses moeurs, et qui exige, non sans raison,
qu'on reconnaisse sa différence. C'est cette différence qu'on impose à
l'enfant, et qui le place, qu'on le veuille ou non, hors de la tradition et de
la norme. Si les homosexuels estiment avoir le droit d'adopter des enfants qui
auront, soit deux pères, soit deux mères, il est permis de se demander si cet
enfant n'aurait pas préféré avoir, comme tout le monde, un père et une mère !
Certes, les vérités premières n'ont pas, aujourd'hui, bonne réputation, et n'a-t-on pas reproché avec indignation à un député candide d'avoir osé dire que si chacun était homosexuel la race humaine s'éteindrait d'elle-même, ce que tout esprit cartésien est bien obligé de reconnaître. En un temps où, pour être élu, on cherche des voix jusqu'en enfer, il est à craindre que l'adoption qui est d'abord, et pas seulement pour les homosexuels, un problème de société, et plus encore un problème de morale, devienne un simple enjeu politique. Ce qui prête à des revirements assez réjouissants comme ceux de Ségolène Royal qui, pour donner des gages au lobby homosexuel, oublie ses réticences de petite fille modèle. Qu'en penserait la comtesse de Ségur ? Ne serait-il pas plus raisonnable, avant d'exiger le droit à l'adoption, de songer aux droits de celui qu'on adopte ? Mais il est vrai que l'enfant en perdition, qui attend, dans le dénuement, que son sort se règle quelque part au Vietnam, au Pérou ou au Mali, ne vote pas. On l'oublie trop souvent, l'adoption est d'abord un sauvetage. Et les naufragés, le Code maritime le dit, ont toujours la priorité. Les sauveteurs passent après, et leurs revendications plus encore. Sauver des enfants est une belle chose, encore faut-il savoir comment les sauver.