Alors qu'il a promis de publier tous les audits de
modernisation de l'Etat, le gouvernement en garde sous le coude,dont deux, sensibles, sur le temps de travail des
enseignants. Le Premier ministre a repris en main le pilotage de ces travaux, exigeant
que la programmation des audits soit désormais soumise à « son arbitrage ».
Audits de
modernisation de Etat . Matignon limite l'« opération
vérité»
La transparence sur le fonctionnement de l'Etat a ses limites. Dix mois après le lancement des premiers « audits de modernisation » de l'administration, une démarche originale initiée [anglicisme : lancée, entreprise, en français] par le ministre du Budget, Jean-François Copé, pour traquer sans tabou les dépenses publiques inutiles, l'exercice ressemble de moins en moins à une opération vérité.
Alors que le gouvernement s'est toujours fait fort d'en «publier les résultats », à la fois pour « rapprocher l'Etat du citoyen » et, surtout, pour mettre les ministères devant leurs responsabilités [responsabilité : mot tabou pour un fonctionnaire], la liste des rapports non publiés ne cesse de s'allonger.
A ce jour, trois vagues d'audits ont fait l'objet de restitutions.
Les dix-sept premiers travaux ont tous été mis en ligue, en janvier, sur le
site du ministère de l'Economie et des Finances. On y trouve des rapports
pourtant peu complaisants pour l'administration, comme celui sur l'organisation
des examens de l'Éducation nationale. Celui-ci montre, par exemple, que le coût
réel des examens, de l'ordre de
150 millions d'euros par an, serait deux fois supérieur à l'évaluation
du ministère et suggère des pistes d'économies [pas grave, c’est le
contribuable qui paye]. Des recommandations que l'Éducation nationale compte
partiellement mettre en oeuvre pour gagner 400 à 500 postes dans son budget 2007
[c’est toujours ça de pris].
La pratique gagne du terrain
La publication de la deuxième vague, en avril, s'est déjà révélée plus problématique puisque, sur les 20 audits effectués, 4 ne sont toujours ni consultables ni disponibles : celui sur le contrôle et la gestion de la pêche, celui sur l'indemnisation des refus de concours de la fonction publique, celui sur la sûreté aéroportuaire et, surtout, celui sur la grille horaire des enseignements au lycée [pourquoi ? On y constaterait que les profs bossent trop ? ]. Cela n'a pas empêché le gouvernement de publier certains audits sensibles comme celui sur lesdécharges statutaires des enseignants, dont les conclusions devraient conduire à la suppression de 3.000 postes budgétaires dans le budget 2007 [une paille ! ]. Mais la pratique consistant à garder sous le coude les rapports d'audit gagne du terrain [oui, on se lance un peu follement, puis, effrayé par son propre courage, on tourne casaque].
Sur les 19 travaux menés au cours de la troisième vague, dont la restitution a eu lieu en juin, huit n'ont pas été rendus publics. Et, parmi eux, figurent. encore, des thèmes touchant à l'Education nationale [l’inefficacité de l’Etat, c’est déjà tabou, mais alors celle des fonctionnaires qu’on entend le plus se plaindre, c’est le tabou des des tabous] comme la grille horaire des enseignements [on s’apercevrait de leurs horaires démentiels ? Ils sont aux 35 h, par demi-mois] dans les collèges, lycées et lycées professionnels, dont la réforme ne pourrait voir le jour qu'à la rentrée 2008 [traduction en français : réforme qui sera enterrée par les élections présidentielles].
Un délai supplémentaire qui aurait été négocié, notamment, par
la Rue de Grenelle, arguant que sa participation importante à l'effort de
rationalisation budgétaire - 8.700 suppressions de postes prévues en 2007 - lui
vaudra déjà deux rentrées scolaires à haut risque, en 2006 et 2007 [Toujours l’Etat
qui a la trouille des fonctionnaires, même de ceux qui travaillent le moins]. Mieux
vaut donc prendre le temps le déminer le terrain avec les syndicats d'enseignants.
Officiellement, Bercy et la Rue de Grenelle assurent que ces audits sont encore
en phase de « contradiction ministérielle ». Mais aucune date n'est avancée
pour leur publication [il ne vient à l’idée d’aucun « contradicteur
ministériel » que le droit des Français de savoir pourrait être prioritaire
sur l’ « appeasement » des enseignants. Toujours cette idée que les
intérêts de l’Etat et des fonctionnaires sont plus importants que ceux de la
société civile].
« Des outils trop dangereux »
En fait, c'est, plus largement, à un recadrage de cet exercice qu'est en train de procéder le gouvernement, à la fois en raison de l'agacement suscité, dans les ministères, par ces évaluations à répétition et par souci de contrôler les sujets à l'approche de la campagne présidentielle. Cet été, le Premier ministre a publié une circulaire. sur la « conduite des audits de modernisation » qui est interprétée par plusieurs conseillers ministériels comme une reprise en main.
« Les audits sont des outils trop dangereux [quand la lumière est dangereuse, c’est qu’on a quelque chose à cacher] pour être laissés entre les mains de Bercy », commente l'un d'eux. Le chef du gouvernement indique, notamment, dans cette circulaire, que la programmation des audits sera désormais soumise à « son arbitrage » et « doit être mieux anticipée, afin d'en renforcer la portée et l'efficacité » [Bref, il faut enterrer les audits pour les rendre plus efficaces !]. Il précise, même, qu'il convient, dorénavant, de « laisser davantage de place » aux « échanges avec les administrations concernées » [Autrement dit, on négociera de pousser les vérités les plus douloureuses, donc les plus vitales à dévoiler, sous le tapis]. Le message est clairement lu, dans les ministères, comme une limitation des prérogatives de Bercy, le ministre du Budget Jean-François Copé se voyant demander de former un « comité de pilotage » des audits qui devra rendre compte à Matignon. Une quatrième vague doit être restituée d'ici à la présentation, cet automne, du projet de loi de Finances. Et rendue publique ? [Allez, je la dis cette vérité que dévoilerait la publication intégrale des rapports et notamment ceux sur l’éducation nationale : l’Etat français est avant tout au service des fonctionnaires, et c’est particulièrement vrai à l’école, où les profs et leurs humeurs sont au centre du système.]
JEAN-FRANCIS PÉCRESSE
ET LAURENCE ALBERT
Les Echos 2006