La liberté reste une idée
neuve pour la France du XXIème siècle
Au prétexte de la critique du libéralisme, assimilé à un pseudo-modèle anglo-saxon ou réduit à tort au seul mécanisme du marché, la France a divorcé avec la liberté depuis la fin du XXème siècle.
Elle a réduit ses citoyens en
clients de l'Etat-providence. Elle a célébré le bicentenaire de la Révolution de
1789, en prenant le parti des
totalitarismes contre le soulèvement des peuples en faveur de la liberté,
apportant son soutien à l'URSS de
Gorbatchev contre la Russie d'Elstine, à la RDA d'Erich Honecker contre
l'Allemagne réunifiée d'Helmut Kohl, à
Chacun comprend que la France entretienne des relations suivies avec des régimes autoritaires ou dictatoriaux pour des raisons d'intérêt national, qu'il s'agisse de la Chine compte tenu de son rôle dans l'économie mondiale, de la Russie compte tenu de son poids dans la géopolitique européenne et de ses ressources en matières premières, de l'Algérie en raison des liens humains entre les deux nations. Une autre chose consiste à légitimer et multiplier les égards vis-à-vis de tyrans ou de dirigeants corrompus, à l'image de la privatisation de Paris pour les présidents algériens ou chinois : en se déshonorant, la France se dessert, étalant sa faiblesse face à des régimes qui ne manquent pas de la manipuler à leur profit, à l'image du président Bouteflika cherchant à souder l'alliance du FLN et de l'islamisme dans la détestation de la France.
La rupture avec la liberté
politique est aussi absurde que
paradoxale, tant elle se situe au coeur
du projet national de
Une régression qui s'exprime
par un rapport obsessionnel et
biaisé au passé du pays, par la fermeture du pays, par la dénaturation de l'identité nationale. La France vit
désormais au rythme du grand bond
en arrière. Bond en arrière dans le temps, avec le culte pervers de la
commémo-nation, qui constitue non seulement le pendant de l'impuissance à agir
mais se transforme en rituel de dénigrement de
L'année 2005 en a été exemplaire qui vit le gouvernement armer le porte-avions Charles de Gaulle pour commémorer le désastre de Trafalgar tout en refusant de s'associer au bicentenaire d'Austerlitz, la bataille des Trois Empereurs qui demeure le chef-d'oeuvre stratégique de Napoléon.
En réalité, la haine de la France se confond
aujourd'hui chez les dirigeants du
pays avec la haine de l'Occident et de
Parallèlement, l'idéologie de la
protection émiette le corps social, entretenant l'exclusion, l'anomie et
Bond en arrière intellectuel et
moral, avec le déni de la liberté et de l'universalisme des Lumières. En
s'érigeant en tête de file de la lutte contre le libéralisme, la France renoue
avec les contradictions politiques fatales des guerres coloniales, pour
combattre l'héritage de sa propre histoire et des valeurs de
L'antilibéralisme n'est pas moins
absurde et voué à l'échec. D'abord
parce que la liberté est première dans la devise de la République et que ceci ne
doit rien au hasard. Elle prime l'égalité et la fraternité car elle en est la
condition, l'égalité restant virtuelle - et la fraternité interdite entre des
hommes autres que libres. Elle constitue aussi la pierre angulaire d'un ordre
international pacifique et stable, qui ne peut reposer que sur des nations
souveraines. Ensuite parce que l'héritage original de la Révolution française
réside dans son caractère universel, autrement dit dans l'ambition de
mondialiser
A rebours de la dénonciation de l'ultralibéralisme, qui relève de la farce dans un pays suradministré et sur-réglementé, où 54,5 % de la dépense nationale est publique, la France doit reconstruire le projet national qui fonde son identité autour de la marque de fabrique historique que constitue la conception universaliste et pluraliste de la liberté.
Il ne fait pas de doute que la liberté a été soumise à rude épreuve par les premières années du XXIème siècle. La sous-estimation de la menace terroriste dans les années 1990 puis la calamiteuse politique extérieure de l'administration Bush après les attentats de 2001 ont placé les démocraties sur la défensive et discrédité leurs principes et leur action auprès de vastes pans de l'opinion mondiale. Pour Hegel, Napoléon figurait la liberté à cheval, ce qui n'a pas empêché sa défaite face à l'Europe coalisée. L'exportation de la démocratie et du marché dans le monde arabo-musulman par la force des blindés et des drones n'est pas promise à une meilleure fin. Or, il en va de la politique extérieure des Etats-Unis comme du dollar : ce sont leur diplomatie et leur monnaie, mais ce sont les problèmes de toutes les démocraties. Dès lors que le Royaume-Uni a fait le choix stérile d'un alignement sans condition sur les positions américaines au nom du maintien d'une relation spéciale de plus en plus fictive, un espace s'ouvre, pour la France, autour de l'incarnation d'une idée de la liberté ouverte à la diversité des nations et à la variété des cultures. Mais à trois conditions. D'abord, il ne peut y avoir de compromis sur le choix de la liberté politique : elle reste un combat à l'issue incertaine, face au fanatisme islamique qui constitue un adversaire encore plus redoutable que le Reich hitlérien ou l'Union soviétique dès lors qu'il n'emprunte pas la forme d'une volonté d'expansion impériale mais qu'il s'enracine au sein de chaque société. Ensuite, l'unité des démocraties doit être respectée et recherchée par tous les moyens : la France a tout à gagner à s'inscrire en contrepoint mais non pas en rupture avec les Etats-Unis, à l'image de son repositionnement dans la guerre froide au cours des années 1960 où la totale fermeté de son engagement en période de crise alla de pair avec la création de marges de manoeuvre pour construire une situation originale entre l'Ouest et l'Est, le Nord et le Sud, qui mettait en cohérence l'intérêt national et la solidarité occidentale face au soviétisme. Enfin, cette idée de la liberté doit être mise au service de l'intégration du continent européen et du processus de mondialisation, conformément à la maxime de Montesquieu qui veut que « si je savais quelque chose d'utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l'Europe, ou bien quelque chose qui fût utile à l'Europe et préjudiciable au Genre Humain, je la regarderais comme un crime ».
Force est de constater que la plupart des démocraties sont adossées à un projet national cohérent. Les Etats-Unis poursuivent la préservation de leur leadership au XXIème siècle face aux superpuissances émergentes du Sud, à commencer par la Chine qui entend rivaliser avec eux. Le Royaume-Uni se définit comme la passerelle entre les deux rives de l'Atlantique. L'Allemagne se consacre à sa régénération, effective sur le plan des infrastructures, amorcée sur le plan économique mais encore balbutiante sur le plan des hommes et des mentalités. L'Espagne conforte son rattrapage au sein des démocraties développées et s'applique à refermer la parenthèse de deux siècles de marginalisation sur la scène européenne et mondiale.
L'ambition nationale de la France devrait s'inspirer du jugement de Pascal selon lequel « la justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique » et le décliner aussi bien dans la lutte contre le fanatisme que dans la régulation de la mondialisation ou la relance de l'Union. La réponse au terrorisme gagnerait à s'inspirer de ce qui fit le succès du cantonnement de l'Union soviétique durant la guerre froide : la stratégie de la dissuasion, un réseau d'alliances diplomatiques entre démocraties, un soutien aux forces démocratiques partout dans le monde, et une pédagogie active de la liberté auprès des élites et des opinions. L'endiguement du fanatisme doit de même réintégrer les dimensions politiques, économiques et culturelles par le soutien apporté aux modérés au sein du monde arabo-musulman, l'aide au développement, l'accent placé sur l'intégration des minorités au sein des nations développées.
La France, en raison de ses liens avec le monde arabe et du poids des musulmans dans sa population, peut contribuer à ce rééquilibrage, qui passe également par le déblocage du cycle de Doha, initié à juste titre en 2001 pour utiliser le levier du développement contre le terrorisme. Surtout, la nation demeure le plus efficace des antidotes au fanatisme religieux : il est donc vital de la conforter et d'éviter que l'extrémisme puisse se greffer sur une crise du sentiment national, comme en Bosnie ou en Tchétchénie, en Irak, en Palestine ou au Liban. Par ailleurs, si l'idée d'un gouvernement universel continue à relever du mythe, la mondialisation mérite d'être dotée d'institutions performantes. Dans ce domaine, la diplomatie française devrait mettre ses actes en cohérence avec ses mots, et apporter un soutien sans réserve à l'émergence d'un multilatéralisme rénové. Au lieu d'être la première à appeler à une intervention de l'ONU et à l'envoi d'une force internationale au Liban, puis la dernière à accepter de l'encadrer par un contingent important, compte tenu des risques opérationnels encourus. Il passe en particulier par un accord sur la libéralisation des échanges agricoles, d'autant plus légitime qu'elle constitue l'arme la plus efficace pour réduire la pauvreté dans le monde. De même, de nouvelles règles s'imposent pour la circulation des hommes et des découvertes scientifiques ou techniques, qui devront faire l'objet d'accords entre les nations développées et les pays émergents. Autant de; champs d'intervention pour un pays conciliant une forte tradition nationale, ancrée dans une histoire et une culture singulières, avec l'héritage du libéralisme politique, un pays sachant marier la défense de valeurs universelles et la reconnaissance de l'irréductible et heureuse spécificité des peuples et des nations.
Ce même renversement de perspective qui repositionnerait la France comme héraut de la liberté politique et des nations au sein de la mondialisation, à rebours de l'évolution réactionnaire des dernières décennies, doit l'amener à relancer le projet politique européen qu'elle a puissamment contribué à discréditer.