Les méchants Américains...

 

« L'anti-américanisme, rendez-vous chez nous de toutes les_ régressions'... » [Bernard-Henri Lévy, in Le Monde, 21 décembre 2001.]

 

Passage obligé dans la rhétorique de gauche : le rejet du personnel politique américain. Light sous Clinton, plus appuyé depuis que les républicains occupent la Mai­son Blanche. À tel point qu'il est devenu difficile de dis­cerner la réalité des fantasmes. Le sens du raccourci, spécialité altermondialiste, n'a pas aidé à la compréhen­sion. Première argutie que le clan joséboviste a savam­ment ancrée dans l'esprit de nos concitoyens : George W. Bush est un crétin. L'idée d'un président simple d'es­prit, fanatique religieux, a fait son chemin dans les médias français - plus encore qu'ailleurs - qui oublient un peu vite qu'on ne se fait pas élire deux fois président de la plus ancienne démocratie du monde en étant tota­lement idiot. Ces prolégomènes sur le crétinisme sup­posé de George W. Bush n'honorent pas la presse française. Une fois encore, son manichéisme aveugle a pris le pas sur les faits. Comme un seul homme, la bonne presse s'est engouffrée dans une dénégation passionnée.

 

Or, il va de soi que le second mandat de Bush est assez riche en erreurs pour qu'il ne soit pas besoin de recourir à des arguties nauséabondes sur le QI du président... La réélection de Bush ne doit rien au hasard : les républicains américains ont mené la bataille des idées sur le terrain. Aux États-Unis, chaque semaine, les minis­tres de Bush participent à des débats au sein de clubs de réflexion de haut niveau où se déroulent des échanges contradictoires sans merci. Véritables athlètes du débat, ils arpentent chaque État, « avalent » du terrain, s'expli­quent, convainquent intellectuels et leaders d'opinions. Indice assez significatif de l'énergie déployée par l'admi­nistration Bush pour faire adhérer les citoyens au travail accompli : les jeunes sont revenus d'une façon assez mas­sive vers les urnes. En 2004, lorsque les correspondants français en poste à Washington ont filmé la mobilisation des jeunes électeurs à l'élection présidentielle opposant Bush à Kerry, ils ont pronostiqué une victoire démo­crate, considérant qu'il était impossible que des républi­cains puissent mobiliser des jeunes.

 

« Regardez comment les médias ont présenté les élec­tions américaines, observe Édouard Sablier, ancien directeur des informations de l'ORTF : le politiquement correct dans les médias s'est manifesté par un éloge constant de la campagne démocrate et un discours systé­matiquement hostile du camp républicain. Et cela jus­qu'à ce qu'un président républicain sorte des urnes à nouveau. A George W. Bush, rien ne fut épargné. À detrès rares exceptions près, c'est la complainte qu'on aiffusée sur les télévisions et les radios, car il n'était pas politiquement convenable de parler de Bush de façon neutre. Chose curieuse, l'actuel chef d'État américain est le seul président des États-Unis à posséder un docto­rat en sciences économiques. Qui l'a dit dans les radios et les télévisions ? » [Édouard Sablier, in Jean-Marc Chardon (dir.), La Tyrannie des bien-pensants] Même Bill Clinton, son prédécesseur, était moins diplômé. Certes, les diplômes ne font pas la valeur d'un homme, pourtant, bien des fois, l'idée que l'ex-président démocrate fut un produit des meilleures universités américaines, contrairement à un Bush autodidacte texan forcément benêt, transpira des reportages diffusés sur nos ondes. Lorsque quelques personnalités d'Hollywood ont signé une pétition contre Bush, le Wall Street Journal s'est amusé à mettre en parallèle les diplômes de l'équipe Bush et ceux des « intellectuels d'Hollywood » l'Amérique en rit encore. Pour finir, rappelons que Bush est titulaire d'un MBA de la Business School de Harvard, et qu'il est diplômé de Yale. Qu'on n'aime pas Bush est un droit, que la presse française le réduise au person­nage présenté par Michael Moore est une idiotie. Bush n'est pas un Deschanel américain !

 

Dans ce contexte général, comment s'étonner que le prisme de lecture des événements soit toujours le même. Le néoconservateur Yves Roucaute remarque « Dernièrement, lorsque le cyclone Katrina a ravagé la Louisiane, les journalistes se sont attachés à démonter que beaucoup de Noirs avaient été abandonnés dans leurs maisons cernées par les eaux. Effectivement, sur les images des télévisions, il y avait une majorité de Noirs. Mais peu de journalistes ont pris la peine d'ex­pliquer que 68 % des habitants de La Nouvelle-Orléans sont noirs ; une autre partie est métisse et les Blancs représentent moins du quart de la population. Il aurait été curieux, dans ce contexte, de voir plus de Blancs que de Noirs affectés par Katrina. Du coup, certains médias français ont expliqué que des secouristes améri­cains auraient volontairement refusé leur aide à des Noirs en difficulté. Insinuation peu glorieuse. La voie était ouverte : par la suite, notre bonne presse s'est déchaînée sur le thème du quart-monde aux États­ Unis. » [Interview d'Yves Roucaute réalisée par l'auteur en septembre 2005]

 

14 % des Américains vivent sous le seuil de pauvreté. Et le quart de la population noire américaine est « pau­vre », selon les critères nationaux. Relativisons aussi au nom de l'honnêteté intellectuelle, la réalité de la « pau­vreté » américaine : aux États-Unis, le salaire moyen est de 30 124 dollars par an alors qu'il est de 23 316 euros en France. Le seuil de pauvreté américain est de 9 645 dollars alors qu'il est de 6 024 euros en France 2. Il est le plus élevé de la planète (ce seuil est calculé sur la base du PIB de chaque pays). Yves Roucaute précise «L'Américain vivant sous le seuil de pauvreté bénéficie d'un niveau de vie nettement supérieur à l'immense majorité du globe. Au Vietnam, quand vous gagnez 117 dollars par an, vous êtes au-dessus du seuil de pau­vreté fixé à 116 dollars... La pauvreté américaine ne sau­rait donc être comparée à la pauvreté africaine ou Indienne. »

 

Et ces familles en difficulté souffrent de problèmes caractéristiques des « pauvres » du continent nord-amé­ricain : surendettement, ghettoïsation... Une étude parue sur les « pauvres » aux États-Unis fait apparaître que 40 % d'entre eux possèdent une maison, construite sur un terrain d'une superficie moyenne de 200 m2, comprenant trois chambres, une salle de bains et demie, une véranda et un garage. Deux tiers de ces pauvres ont au moins une voiture, et 30 % en ont deux. L'étude fait aussi apparaître que beaucoup de ces pauvres d'aujour­d'hui sont des jeunes en devenir. [Source : Census, 2004 (Census est peu ou prou notre Insee)]

 

Certes, la tentation de la ghettoïsation existe. On dénombre deux cents écoles américaines qui affichent discrètement « Black only » et 51 % des Noirs américains estiment que le voisin idéal est noir'. Mais il convient de relativiser la lecture misérabiliste de la communauté afro-américaine que ressassent inlassablement les médias français. 39 % 2 des habitants des zones résidentielles des cent plus grandes villes américaines sont noirs. La réus­site de Colin Powell n'a rien d'unique, la communauté présente des cas d'intégration et de réussite exception­nels : Richard Parsons, le patron de Time Warner ; Barack Obama, l'étoile montante du parti démocrate ; Stanley O'Neal, le président de la banque Merrill Lynch qui fait la pluie et le beau temps à Wall Street ; Shirley Franklin, la maire d'Atlanta ; la journaliste Oprah Win­frey... La société américaine n'a vraiment rien d'idylli­que, mais pourquoi forcer le trait à ce point Bush n'est pas une référence, mais pourquoi en faire pour autant un sombre ahuri ?