Compte rendu

Huguette Rivaud voulait quelqu'un "de son cru" pour travailler avec elle

LE MONDE | 22.06.06 | 14h09  •  Mis à jour le 22.06.06 | 14h09

NANTES ENVOYÉ SPÉCIAL

 

Sixième question. Au fond, toujours la même. Et toujours pas d'explication. Alain Reynaud, président de la 6e chambre correctionnelle du tribunal de Nantes, insiste : "Vous avez déclaré : "J'ai effectivement refusé d'embaucher cette personne parce que cela aurait posé des problèmes pour ma clientèle rurale". Pourquoi vous ne vouliez pas de Noir dans votre salon ?" Huguette Rivaud, 56 ans, ne sait pas quoi répondre. Septième tentative. "Vous avez déclaré, poursuit le président, "Oui, j'ai refusé sa candidature parce que je recherchais une employée de couleur blanche parce que cela correspond mieux au type de la clientèle. Je me sens mieux avec des gens de ma couleur". Alors ?" Silence.

 

Huguette Rivaud est propriétaire du salon de coiffure Actuelle Coiffure, à Châteaubriant (Loire-Atlantique). Elle est soupçonnée d'avoir "refusé d'embaucher Clairmise Valton en raison de son apparence physique ou bien de son origine ou de son appartenance ou non, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race déterminée".

Le 22 novembre 2005, Clairmise Valton, 26 ans, française d'origine haïtienne, qui cherche du travail, se rend "pour une candidature spontanée" dans ce salon. Mme Rivaud lui répond qu'elle ne cherche personne. Le lendemain, la propriétaire du salon reçoit un courrier l'informant de la prolongation d'un arrêt maladie pour l'une de ses trois salariés jusqu'à fin décembre. Selon elle, depuis le 9 octobre, son employée est en dépression. Elle contacte alors l'ANPE de Châteaubriant pour passer une annonce : elle recherche une coiffeuse. C'est urgent.

"ELLE A FAIT SON PROPRE TESTING"

Ce jour-là, Clairmise Valton se présente à la même agence de l'ANPE. On lui propose cette offre d'emploi. "J'appelle. Je précise que j'étais passée la veille. Elle me dit, un peu gênée, qu'elle avait beaucoup de candidatures", déclare Mme Valton. Le doute s'installe dans l'esprit de la jeune femme. Elle demande à une amie, Béatrice Adetsi, d'appeler le salon, de camoufler son identité et d'obtenir un entretien d'embauche. Son amie dit s'appeler Aude Pichet et obtient un entretien dans l'après-midi.

Sur les conseils de l'ANPE et de l'inspection du travail, Clairmise Valton dépose plainte à la gendarmerie. SOS Racisme se constitue partie civile. Le vice-président de l'association, Samuel Thomas, est intervenu à la barre, mercredi 21 juin : "Clairmise n'a pas eu besoin de SOS car elle a fait son propre "testing". Elle m'a dit : "Si je dois subir le racisme, je préfère quitter la France". Non, elle doit avoir confiance en la République."

L'avocat d'Huguette Rivaud, Me Stéphane Fouéré, affirme que sa cliente a le droit de "préférer" une personne de "son cru" qui "rassure" la clientèle. Martine Lambrescht, procureur de la République, dit avoir "presque honte" : "Je constate avec tristesse que le citoyen lambda est raciste." Elle ajoute : "Je regrette qu'elle ne se soit même pas excusée. Vous êtes raciste. Point barre." Le ministère public requiert trois mille euros d'amende, dont mille avec sursis, et l'obligation de faire un stage de citoyenneté. Le jugement a été mis en délibéré au 17 juillet.

 

Mustapha Kessous

Article paru dans l'édition du 23.06.06