Harry Roselmack n'est pas noir, il est jeune, par Hakim El-Karoui et Jean-Pascal Picy Hakim El-Karoui et Jean-Pascal Picy (Maîtres de conférences à l'Institut d'études politiques à Paris).

 

Le Figaro

 

Depuis le 17 juillet dernier, selon certains commentateurs, la France vivrait une expérience extraordinaire, presque impensable. Jugez plutôt, depuis cette date, le journal du soir de la principale chaîne de télévision est présenté par un journaliste noir !

 

Loin de nous l'idée de mésestimer la portée symbolique de cet événement, ni même sa dimension exemplaire : la «sous-représentation» des «minorités visibles», comme on les appelle, est une réalité et tout ce qui permettra de favoriser une plus grande diversité dans la société française ne pourra qu'être utile pour que notre société se réconcilie avec elle-même, pour qu'elle accepte enfin son vrai visage.

 

Mais, ce qui est frappant dans cette affaire, au-delà de l'origine martiniquaise de l'intéressé (un territoire français depuis 1635, c'est-à-dire bien avant l'Alsace en 1675, la Corse en 1768 et la Savoie en 1860...) que l'on oublie vite car il est d'abord compétent et professionnel, c'est son âge !

 

À 33 ans, en effet, Harry Roselmack a tout d'un extraterrestre dans le paysage politique, économique et médiatique français et pourtant il ne le doit pas seulement à son look très «Star Trek» avec son crâne tondu et sa parfaite maîtrise de lui façon Spock ! À cet âge, en effet, et quel que soit le talent des intéressés, il est de bon ton d'être patient et d'attendre que les anciens veuillent bien, un jour peut-être, faire une place. La surreprésentation des quinquas, des sexas, voire des septuagénaires dans les postes à responsabilités constitue à l'évidence la principale caractéristique de notre société, au moins autant que la sous-représentation de la diversité. Sans doute faut-il y voir un hommage méconnu de la France au modèle chinois.

 

Ainsi, Patrick Poivre d'Arvor a présenté son premier JT le 16 février 1976, il y a plus de trente ans ! Dans un autre registre, Michel Drucker berce nos après-midi dominicales depuis 1974, Thierry Roland nous fait partager son amour du ballon rond depuis 1962 et Evelyne Dhéliat, une des dernières speakerines de notre enfance (rappelez-vous, en 1975, elle annonçait «Les Visiteurs du mercredi»), continue à officier en présentant la météo. Pour illustrer la formidable capacité de renouvellement de notre PAF, il serait également injuste de faire l'impasse sur l'inaltérable Alain Duhamel qui nous livre ses fines analyses politiques depuis 1970, sans discontinuer.

 

Sur le plan politique, nos performances ne sont pas moins estimables. Lionel Jospin a ainsi été élu pour la première fois à Paris en 1977 avec Bertrand Delanoë. Jean-Marie Le Pen a été élu député de Paris en 1956 alors qu'Arlette a participé à toutes les élections présidentielles depuis 1974. Et notre président de la République rappelait encore récemment lors du G 8 à Saint-Pétersbourg à un Tony Blair quelque peu interloqué qu'il était entré pour la première fois au gouvernement en 1967 et qu'il ne l'avait quasiment plus quitté depuis, faisant comme partie des meubles.

 

Soyons clairs, il ne s'agit pas pour nous de remettre en question la compétence des personnes citées, d'autant plus que nos connaissances en météo sont pour le moins limitées. Il s'agit plutôt de nous interroger sur le sens et l'impact de cette longévité des personnalités publiques. Cette interrogation nous semble d'autant plus nécessaire que notre société vieillit et qu'il n'est pas illégitime que les plus anciens continuent à faire partager leurs talents. Ce qui est fâcheux, ce n'est pas une quelconque surreprésentation des anciens dans la société, c'est l'absence de renouvellement des élites.

 

Ce qui pose problème, ce n'est pas la perspective de voir toujours les mêmes têtes, d'autant plus qu'on les aime bien, c'est surtout l'idée d'une «génération sacrifiée» qui se voit barrer l'accès à l'emploi, aux responsabilités, à toute perspective de promotion et de réalisation. Dans une large mesure, les problèmes de discrimination que rencontrent les jeunes diplômés issus de l'immigration constituent une sous-catégorie d'un phénomène plus large qui frappe toute la jeunesse française.

 

Les aînés ne veulent plus passer le relais, sans doute parce qu'ils ne sauraient plus que faire de leur vie. Certains se croient aussi probablement indispensables, mais comme dit l'adage, «les cimetières sont plein de gens qui se pensaient indispensables». Mais il est aussi une autre réalité, c'est que les Français eux-mêmes sont partagés entre le désir de renouvellement et le sentiment de sécurité que leur inspirent des visages familiers.

 

À la vigueur de la jeunesse, à la force de l'imagination, à l'audace du risque, ils préfèrent souvent le côté rassurant de l'expérience, le repos qui caractérise l'habitude et le confort de l'absence de surprises. N'ayant plus confiance dans l'avenir, ils cherchent le réconfort dans le passé. C'est sans doute pour cela que les auditeurs de RTL ont rappelé Philippe Bouvard en 2001 pour présenter «Les grosses têtes» et que les Français se sont reconnus en Jacques Chirac en 2002, même si quelqu'un l'avait jugé «usé, vieilli, fatigué».

 

À travers ce phénomène, la France illustre, une fois de plus, son manque de confiance en elle, sa nostalgie pour l'époque bénie des années 1970 où le chômage était un concept et la mondialisation, une idée lointaine. C'est une constante de notre histoire de se référer à un mythique «âge d'or» lorsque les choses vont mal, lorsque le doute l'emporte sur l'espoir.

 

Pour autant, la solution à nos problèmes ne viendra pas de la contemplation de notre image défraîchie dans le miroir cathodique, elle viendra d'un sursaut que seules les jeunes générations pourront porter. C'est le sens que nous voulons voir dans la nomination d'Harry Roselmack. C'est aussi le sens que pourrait avoir la prochaine élection présidentielle si, pour la première fois depuis 1969, elle mettait aux prises deux primo-candidats à la magistrature suprême.

 

Si nos aînés veulent rendre un dernier service, qu'ils se souviennent de leurs humanités et du bon vieux Corneille qui soufflait à Don Rodrigue que «la valeur n'attend point le nombre des années» et qu'ils apprennent à tirer leur révérence, comme Zidane et quelques autres viennent de le faire, par une belle soirée d'été. C'est promis, ce jour-là, eux aussi auront droit aux larmes de reconnaissance de toute une génération.