Chronique
"Demande pardon au monsieur...", par Laurent Greilsamer
LE MONDE | 18.09.06 | 13h31  •  Mis à jour le 18.09.06 | 13h31

aut-il toujours s'excuser ? Ou présenter ses regrets ? S'excuser d'avoir dit ce que l'on a dit même si on continue de le penser ? Présenter ses regrets même s'il n'y a rien à regretter ? Beau sujet de réflexion alors que le monde musulman s'offusque des propos du pape Benoît XVI sur l'islam, exige qu'il manifeste sa résipiscence, ordonne au Vatican de faire amende honorable.

Pour l'instant, Benoît XVI a exprimé ses regrets, non pas tant sur son argumentation de l'articulation entre la foi et la raison, mais parce que le texte de sa conférence a visiblement choqué une partie des musulmans et déclenché une vague de colère, notamment au Pakistan et en Iran. A l'évidence, tous ceux qui manifestent leur indignation n'ont pas lu le texte qu'ils réprouvent, et ceux qui brûlent des effigies du pape démontrent malgré eux un certain degré de violence dans l'expression de leur foi. Mais c'est déjà une autre histoire.

En réalité, le texte ample et exigeant de Benoît XVI - dont Le Monde a publié de larges extraits dans son édition datée 17-18 septembre - est devenu le prétexte commode à des manifestations contre les valeurs de l'Occident et son culte de la raison. Qu'importe ce qu'a dit ou voulu dire réellement le pape. L'affaire est politique, la théologie oubliée, et, avec elle, le goût de la dispute intellectuelle, de la critique et de l'autocritique.

Imagine-t-on des foules virulentes manifester en Israël, en Europe ou aux Etats-Unis pour exiger du président iranien qu'il retire immédiatement ses déclarations sur le sionisme et qu'il s'excuse solennellement pour avoir plusieurs fois affirmé qu'il convient de "rayer Israël de la carte" ? Non, bien sûr. L'exigence d'excuses est une arme que se réservent les fanatiques, les despotes, les fous d'orgueil et les tribuns populistes.

Qui a songé demander des excuses à Hugo Chavez après ses déclarations délirantes la semaine dernière sur le 11-Septembre ? Personne. Le président vénézuélien a pourtant très sérieusement dérapé en donnant sa version des attentats commis en 2001 à New York et à Washington. Selon lui, l'administration Bush pourrait avoir conçu et mené les attaques terroristes contre les tours jumelles du World Trade Center. Quand à l'attentat contre le Pentagone, à Washington, il n'y croit guère.

On ne sait pas trop ce que valent les excuses ou les regrets dans le domaine si codifié des relations internationales et de la diplomatie. Mais il apparaît aujourd'hui que leur usage est à géométrie variable. Les tyrans modernes les récusent : ils veulent bien en recevoir, mais refusent d'en présenter. Ni le président iranien ni le président vénézuélien, qui viennent de participer au sommet des pays non alignés à Cuba, n'ont songé à rétracter quoi que ce soit dans leurs discours négationnistes. Et sans doute est-il trop tard pour que Fidel Castro, devenu l'ombre de son ombre, offre ses regrets à son peuple pour l'avoir maintenu dans un état de grande misère.

Chez nous, on pratique beaucoup plus volontiers l'art subtil de la contrition - culture religieuse oblige. Présenter ses excuses sert à dénouer une crise. C'est un art difficile parce qu'il oblige à ravaler sa superbe.

En exprimant ses regrets au Parti socialiste et à son premier secrétaire, François Hollande, pour avoir fustigé leur "lâcheté" durant l'affaire Clearstream, le premier ministre a purgé un contentieux qui virait au drame d'honneur. En prenant l'initiative d'appeler la jeune militante socialiste Nolwenn, qu'elle avait cruellement raillée la veille au cours d'un débat, Ségolène Royal a partiellement réparé sa faute politique. Mais elle-même n'a pas reçu d'excuses de la part de sa camarade Martine Aubry, qui l'a brocardée en jugeant qu'il ne suffit pas d'avoir "les bonnes mensurations" pour gagner une présidentielle. Présenter des excuses reviendrait pourtant à se présenter sous un meilleur jour.


Laurent Greilsamer
Article paru dans l'édition du 19.09.06