La leçon d’histoire de Max Gallo aux sarkophobes

 

«Adieu Sarko, adieu ! » Dans combien de semaines - après les élections municipales ? - entendrons-nous, dans les rues parisiennes, ces quelques mots scandés sur l'air d'« Adieu, de Gaulle, adieu!» chanté par les foules de Mai 68? Heureuse manière, n'est-ce-pas, de fêter un 40e anniversaire ? Déjà tel ambitieux socialiste suggère aux laïques de « descendre dans la rue » afin de défendre la laïcité menacée. Peut-être y retrouveront-ils les ombres de centaines de milliers de manifestants qui protestaient contre une modification de la loi Falloux, proposée par un ministre de l'Education nationale [François Bayrou]. C'était il y a quinze ans. Ce chrétien grand teint jure aujourd'hui, croix de bois, croix de fer, que la laïcité est sa ligne de vie. Tant mieux!

 

Il campe nuit et jour, avec d'autres citoyens illustres, sur les remparts de la République en danger, en rêvant à son destin. Il est signataire d'un appel à la vigilance républicaine. On s'étonne d'ailleurs, compte tenu des périls qui menacent Marianne (pour résumer : la fin de la laïcité, de la liberté d'expression, des droits de l'homme, de l'indépendance nationale, et pour tout dire d'un mot: «le pouvoir personnel confinant à la monarchie élective») que le nom du coupable - devinez qui ? - ne soit pas mentionné dans ce texte.

 

La gauche qui défilait en mai 1958 puis en mai 1968 osait nommer de Gaulle en criant: «Le fascisme ne passera pas», en dénonçant « le coup d'Etat permanent», en caricaturant le général sous les traits du Fùhrer. «La chienlit, c'est lui», et en le renvoyant « à l'hospice », « au musée », « aux archives ».

 

Il est vrai qu'aujourd'hui la discrétion de l'appel de vigilance républicaine s'accompagne de l'inépuisable catalogue des attaques personnelles contre Nicolas Sarkozy. Nous ne mangeons pas de ce vocabulaire-là. Nous défendons des valeurs. Nous avons l'âme et les mains pures, argumentent les illustres signataires.

 

Décidément, la langue de bois - l'hypocrisie, pour parler clair - reste une grande vertu démocratique.

 

Mais peut-être s'agit-il surtout de prudence tactique. Sarkozy a été élu par 53 % de 85 % du corps électoral. L'un des plus larges scores de la Ve République. Il est encore trop tôt pour crier « Un an ça suffit ! » comme on lançait à de Gaulle «Dix ans ça suffit!» Alors on prend la pose. On laisse les picadors énerver la bête. Un SMS par-ci, une caricature par-là.

 

On prépare l'estocade en habit de lumière : on en appelle à la vigilance républicaine. Beau travail de la muleta. Car l'expression, lourde de sens, est bien choisie. «Le fascisme ne passera pas » est daté, usé. On ne compte plus les Hitler depuis 1945. «Vigilance» use du même procédé de diabolisation, mais le nuance d'une élégance savante. Cela rappelle le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes dans les années 30. Les ligues factieuses montaient à l'assaut du Palais-Bourbon. Les gardes mobiles ouvraient le feu sur le pont de la Concorde. C'était le 6 février 1934 - Blum, présenté comme un juif allemand, était accusé de souper avec les ploutocra-tes dans de la vaisselle d'or. Des ligueurs tentaient de le lyncher. Est-ce que la France du XXIe siècle ressemble à celle du premiers tiers du XXe ? Dans la réalité virtuelle, tout est possible. Et le mot «vigilance» sonne si bien: foin de vérité historique! Adoptons-le.

 

Mais, chers et illustres citoyens, quand il s'agit d'un péril aussi extrême - le nazisme se profile à l'horizon des années 30, votre référence -, on n'attend pas. Il y a urgence.

 

Le « diable » innommé qui hante votre appel à la vigilance prépare, à vous en croire, le retour à un ancien régime confessionnel. On annonce l'effacement de la République, de la Révolution française, donc, des Lumières. Songez qu'il évoque les « racines chrétiennes de la France ». Et vous vous contentez d'un clin d'œil aux articles voisins qui dénoncent eux, «le grand malade», «l'agité à la démarche de camionneur», l'homme aux montres de prix, aux vacances de milliardaires - pas encore la vaisselle d'or, mais on y vient... La connivence discrète avec les picadors n'est pas de mise. Il faut vite crier : « Un an ça suffit ! »

 

Mais peut-être vous y préparez-vous, au vu des sondages et des résultats escomptés des élections municipales. On imagine le commentaire déjà esquissé: le peuple françaisn berné en mai 2007 par l'enchanteur, le bateleur, le diabolique et ses airs de flûte patriotique et salariale, s'est enfin réveillé. Il échappe aux sortilèges du démon. Et nous exigerons au nom de la démocratie le silence du président, un changement de cap et, pourquoi pas, avec le peuple debout, le départ de cet élu d'un printemps. «Adieu Sarko, adieu».

 

Et c'est bien ce désir-là, ce scénario qui s'exprime malgré les non-dits. Certes, il faut être prudent. En mai 1968, ce de Gaulle à terre, dont Mitterrand venait de réclamer la place, avait retourné l'opinion en quatre minutes et trente secondes de discours. Et il faut d'autant plus se méfier de Sarkozy que, si l'on peut lui reprocher des « écarts » de langage, il n'a jamais cherché à passer en force. Longues négociations, accord avec des syndicats. On ne voit poindre aucun texte sur la laïcité. Il y a des expressions discutables, un changement de ton, mais tout cela ouvre le débat, et ne le conclut pas. Jamais comme depuis le printemps 2007 la politique et la controverse n'ont autant envahi l'espace public. La politique est de retour et donc la République est réveillée. Qui s'en plaindrait?

 

Reste le « pouvoir personnel confinant à la monarchie élective»! Ce n'est jamais que l'habillage qui se veut nouveau d'un thème d'il y a cinquante ans, illustré par le livre de Maurice Duverger : « La monarchie républicaine ». Et chacun sait que l'élection au suffrage universel du président de la République crée un déséquilibre de légitimité entre parle­mentaires et président. Mendès France, cohérent et rigoureux, refusait cette élection «plébiscitaire». Mitterrand, qui la dénonçait, fut le plus louis-quatorzien des chefs de l'Etat. Et parmi les candidats à l'élection présidentielle, les vigilants républicains, on n'en voit pas qui aient renoncé à leur rêve. Ils ont plutôt fait, en mai 2007, dans le registre « providentiel ». Et ils piaffent d'impatience! Le quinquennat - Jospin, Chirac -a exacerbé les ambitions, renforcé la tutelle présidentielle. Tous pensent à 2012 et ils ont le rouge du dépit au front.

 

Comment, ce Sarkozy, venu de Salonique, de Hongrie, de Neuilly, est président de la République ! Anomalie, usurpation. C'est un défi à la raison, aux bonnes manières. Il est si vulgaire ! Nous sommes la culture, le savoir, le bien, le droit, les valeurs morales, la justice, la République, l'amour du genre humain, l'élégance, la poésie, l'Histoire, le bon goût, le socialisme, la laïcité, le gaullisme, le vrai centrisme, bref les présidents comme il faut ! Nous savons gouverner. Nous préservons notre vie privée - sauf lorsque nous accouchons !

 

Ce président n'est qu'un quelconque avocat, ni Ena, ni X, ni ENS. Il est petit de taille et fort mal habillé. La République est en danger, soyons vigilants. Certes, pas d'écoutes téléphoniques, pas de suicide d'un collaborateur direct à l'Elysée, pas de GIGN pour monter la garde autour d'une seconde famille cachée, pas de fils à l'Elysée chargé des affaires africaines (M. Papamadit). Mais il n'a pas lu Chardonne. Et peut-être ne peut-il pas réciter du Saint-John Perse! Et voyez de qui il s'entoure: Rama Yade, Fadela Amara, Rachida Dati, et des figures emblématiques de la gauche. On dit même que l'un de ses plus importants ministres est franc-maçon, du Grand Orient de France, une «secte» laïque fort mal vue au Vatican ! Cet homme-là est bien un vil suborneur qui met en danger la République. Il affiche sa vie privée. Impardonnable. Et saluons le martyre du journaliste qui a publié à la une de son hebdomadaire une photo volée, une intimité violée, montrant l'épouse de Sarkozy au côté de son amant. Voilà en effet un exemple de respect de vie privée. Ce président corrompt tout. Notre Louis XIV républicain avait pu protéger ses secrets avec la complicité de toute la presse. Quel grand président, n'est-ce pas ?

 

Heureusement, sondages, élections à venir font souffler un air vivifiant sur la République, et les courageux, grisés, montent au front: «Un an ça suffit!» Osera-t-on rappeler 2002 - après 1995 -, quand le juste, l'austère, le chef du gouvernement dont on se plaisait à saluer l'extraordinaire bilan ne fut même pas présent au second tour de l'élection présidentielle?

 

En 2007, la Jeanne du XXIe siècle évita cette déconvenue, mais, malgré son agneau dans les bras - belle image pieuse -, elle a été largement battue. Et Nicolas Sarkozy le bateleur, élu. Diable! On imagine qu'il vient parfois à la mémoire des vigilants républicains ce vieux slogan de 68 : «Election trahison».

 

Mais les résultats des élections municipales s'annoncent si bons qu'on voit le rouge de l'ivresse du succès colorer les joues, et le mépris accompagner le sourire des vainqueurs présumés.

 

Puis on se souvient qu'il ne s'agit que d'élections locales. Il faut donc préparer la suite, les banderoles : « Un an ça suffit ! » On n'est jamais assez vigilant ! On fait confiance aux électeurs, et le jour de la grande élection, en 1995, en 2002, en 2007, ils vous trahissent. Le peuple, décidément, n'a pas bon goût.