François
Bayrou, président de l'UDF, candidat à l'élection présidentielle, parvenu à la
troisième place dimanche dernier en totalisant 6,8 millions de suffrages, était
l'invité de RTL, ce matin, à 7h50.
Nous
sommes convenus de cette interview tard hier soir, après vingt heures, alors
même que Canal Plus avait officialisé sa décision de ne pas organiser le débat
qu'elle projetait de réaliser demain, samedi, entre le président de l'UDF et
Ségolène Royal, candidate du parti socialiste à l'élection présidentielle,
qualifiée pour le second tour face à Nicolas Sarkozy. L'intention de RTL était,
en lançant cette invitation de permettre à François Bayrou d'exprimer les
sentiments qui étaient les siens après cette annulation.
François
Bayrou a dit, ce matin, sa pensée sans détours. Pour lui, seules des pressions
ou des menaces ont pu conduire Canal Plus à la décision que l'on connaît.
"Je n'en ai pas la preuve, a-t-il dit, j'en ai la certitude."
Évidemment, quand le débat public se fait accusatoire, quand on assure que tel
ou tel attente aux règles ou à l'esprit de la démocratie, n'avoir que des
certitudes, ne pas amener des preuves explicites en soutien de ses propos,
revient à se mettre dans une situation d'une faiblesse certaine puisque,
contrairement à l'équilibre et à la tempérance que réclame la démocratie, on
demande à ceux qui écoutent un acte d'adhésion qui repose sur la foi et non pas
sur la raison.
Faible
dans l'exposé, François Bayrou l'a été aussi dans la conclusion qu'il a tiré,
ou plutôt qu'il n'a pas tiré, de ses propres paroles. Il pense, il dit, il l'a
fait ce matin avec clarté, que Nicolas Sarkozy est dangereux pour les libertés
publiques. Il pense, et il l'a dit ce matin, que sa conception du pouvoir peut,
à terme, faire ressembler la France d'aujourd'hui à la Pologne d'aujourd'hui,
ou s'étend un esprit inquisitorial, revanchard, dangereux pour la liberté de
chacun à penser ce qu'il veut penser. Ceci est fort, et grave. Mais celui qui
pense cela doit dire alors que le plus important dans le débat démocratique
français est d'empêcher celui qui porte de telles menaces d'accéder au pouvoir.
Pour parler clairement, François Bayrou qui décrit Nicolas Sarkozy comme un
péril pour la démocratie française doit dire clairement que l'expression
populaire du dimanche 6 mai doit barrer la route au danger qu'il représente.
Interrogé
clairement sur ce point précis, François Bayrou a fourni une réponse dilatoire.
Il en est revenu à la présentation d'un équilibre un peu spécieux entre
Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy qui auraient tous les deux des défauts. La
première serait dangereuse sur le plan économique et le deuxième serait un
Brutus pour les libertés. Mais enfin, il n'y a pas d'équivalence entre ces deux
dangers. Mal géré est une chose, cadenasser en est une autre. Faire du déficit,
ce n'est pas bien, mais intimider, menacer, donc contraindre, donc répandre du
malheur, c'est infiniment moins bien, c'est pire, c'est insupportable.
Tout
ceci s'aggrave encore de cette incohérence propre à l'UDF. Alors même que le
président de ce parti tient un discours à la dureté d'acier vis-à-vis de
Nicolas Sarkozy, les députés qui sont ses fidèles et qui l'ont soutenu durant
sa campagne présidentielle rallient un à un Nicolas Sarkozy. François Sauvadet,
Charles-Amédée de Courson, Maurice Leroy, soutiennent Bayrou qui dénoncent et
appellent à voter Sarkozy qui est l'objet de la dénonciation. S'il y a une
cohérence à tout ceci, elle m'échappe. Si quelqu'un la trouve, qu'il la communique.
Il rendra service à tout le monde.
Un
dernier point, complexe, peut-être polémique, mais important, je crois.
Pour
que le débat entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy puisse avoir lieu, il faut
que le candidat de l'UMP ou l'un de ses soutiens bénéficient sur le même média,
dans des conditions d'exposition médiatiques identiques, d'un temps égal de
parole à celui de la candidate socialiste. Telle est la règle du CSA.
Concrètement, ceci veut dire que si Ségolène Royal parle durant une demi-heure lors
du débat, une demi-heure doit être accordée à l'UMP. Ces règles, rappelons-le,
sont celles qui ont été utilisées tout au long des cinq semaines durant le
premier tour de l'élection présidentielle. Elles s'appliquent donc aussi durant
le second tour.
L'UMP
bloque la situation en ne déléguant pas l'un des siens pour occuper le temps de
parole que leur propose les médias organisateurs du face-à-face Bayrou-Royal,
et il est courant, jusque chez les journalistes, de dénoncer l'attitude de
l'UMP. La réflexion conduit à nuancer cette position.
Ségolène
Royal a tendu la main à François Bayrou, et lui a proposé le débat qui nous
agite, après avoir constaté qu'au premier tour, ses réserves de voix à gauche
étaient si faibles que ses chances de succès au second étaient à peu près
nulles. Jusque là infréquentable homme de droite, François Bayrou devenait tout
à coup un interlocuteur crédible, surtout en raison des millions de voix qu'il
est, peut-être, susceptible d'influencer. Voilà donc la candidate socialiste contrainte,
pour sauver la suite de sa campagne, de mettre en scène le candidat centriste.
Du coup, elle réclame implicitement à l'UMP de l'aider dans son entreprise en
acceptant de compenser le temps de parole qu'elle utilisera dans son débat avec
François Bayrou. On conviendra que, confrontée à cette demande, l'UMP ne
l'honore pas en disant que toute cette histoire ne la concerne pas.
Prenons
les choses à l'envers. Quel cadeau ferait Nicolas Sarkozy à Ségolène Royal en
faisant en sorte de permettre à son adversaire et à son ennemi d'exposer
ensemble, devant les caméras de télévision, leurs points de désaccords et leurs
points de convergence. Au rang de ces derniers, figurerait le péril que ferait
courir le président de l'UMP à la France. Et cette expression là, ce serait lui
qui la favoriserait. Franchement, du seul point de vue de ses intérêts, on peut
comprendre que Nicolas Sarkozy ne se prête pas au jeu.
Scandale
pour la démocratie. Voilà, au fond, le dernier argument, pas négligeable, de
ceux qui souhaitent le débat Royal-Bayrou. Bien sûr, on peut toujours regretter
l'absence d'échanges. Voir deux responsables politiques échanger des arguments
ne peut que servir la démocratie.
Là
encore, pourtant, un peu de réflexion amène à prendre un peu de distance avec
l'argument brut, brutal, de l'atteinte démocratique. A la veille du grand
choix, à la veille du deuxième tour, ce qui compte, c'est le débat entre les
deux premiers du premier tour. Ce qui serait choquant, pas illégal car cela ne
tient qu'à l'usage, choquant donc, ce serait que l'un des deux candidats se
dérobe, refuse la confrontation. Le reste ensuite, la scène actuelle le montre
suffisamment, obéit davantage à des considérations partisanes, conjoncturelles,
qu'à une recherche sourcilleuse de la perfection démocratique.
Au
fait, qui se souvient? En 2002, il n'y a pas eu de débat de deuxième tour. Le
peuple souverain avait placé un candidat en tête et un candidat en deuxième
position. Celui qui était arrivé en tête n'avait pas souhaité le débat. Dans
mon souvenir, aucun journaliste n'a protesté contre ce choix. Pourtant, le
respect du peuple, de son expression, de son verdict, aurait pu nourrir des
protestations. Je vais même vous faire un aveu. Moi même, à l'époque, je n'ai
rien dit. Je n'ai pas crié au déni de la démocratie. J'aime les débats, ils me
semblent importants pour la vie démocratique, et pourtant, là, dans cette
circonstance de l'élection présidentielle de 2002, je n'ai pas défendu l'idée du débat, et non plus l'idée inverse,
celle de l'appauvrissement de la démocratie puisque le débat n'avait pas lieu.
Ai-je
eu raison? Avons-nous eu raison de ne pas protester. Le débat pour le débat? Ou
le débat dans une logique?
Belles
questions à méditer durant un week-end où, je vous le souhaite, le plaisir de
la détente prendra le pas sur la fureur de la politique.
Photo
AFP