Dans la crise financière, les
banques centrales ne sont pas innocentes
Publié le 29 août 2007
En ce mois d'août 2007, les
marchés financiers ont été secoués par les difficultés de certaines banques et
les baisses des cours des actions sur les principales Bourses mondiales. Les
banques centrales - Fed et BCE - ont réagi en injectant massivement des
liquidités afin d'aider les banques en difficulté (38 milliards de dollars pour
la Fed le 10 août !).
Elles se félicitent d'avoir
ainsi stabilisé les marchés. Pour une grande partie de l'opinion, comme pour
les commentateurs officiels, le scénario est clair : une crise de confiance se
serait manifestée sur les marchés financiers, et l'intervention des banques
centrales aurait permis de rétablir la confiance en éloignant la crainte de
faillites bancaires qui auraient pu déclencher un processus en chaîne
destructif du système financier mondial.
Mais il est sans doute un peu
facile d'évoquer un élément aussi fugace que celui de la confiance, pour
expliquer les fluctuations économiques. La « confiance » n'est pas une sorte de
deus ex machina qui viendrait subitement et sans cause, frapper les esprits et
modifier les comportements. Elle est la conséquence de facteurs bien réels, qu'il
convient précisément de rechercher.
Tout le monde s'accorde pour
dire, que l'origine des événements récents, se trouve dans le marché
hypothécaire subprime, où une « bulle financière » se serait précédemment
développée et aurait soudain pris fin. Sur ce marché, des crédits immobiliers
hypothécaires consentis à des particuliers dans des conditions parfois risquées,
sont revendus en bloc à des investisseurs. Les établissements financiers
auraient prêté de manière excessive et imprudente. Les difficultés - ou même les
faillites - de certaines banques constitueraient alors un signal pour le marché,
déclenchant une vague de pessimisme et mettant en péril des établissements
financiers devenus incapables de se refinancer sur le marché auprès d'autres
établissements.
Et c'est pourquoi, pense-t-on,
il est indispensable que les autorités monétaires interviennent pour briser ce
cercle infernal. Ainsi, d'après l'interprétation dominante, les marchés
seraient fondamentalement instables et ils devraient donc être régulés par les
autorités monétaires et financières.
Dans cette optique, on
attribue implicitement aux établissements financiers et à tous les intervenants
des marchés financiers, un comportement irrationnel ou, tout au moins, à courte
vue. Ce serait, selon la terminologie à la mode, le « court-termisme » des
marchés (opposé à ce qu'on pourrait donc appeler le « long-termisme » des
autorités).
Mais il n'en est rien, et c'est
en fait exactement l'inverse qui s'est produit, comme dans toutes les crises
financières du passé et, probablement, dans toutes celles qui ne manqueront pas
de se produire dans le futur. On oublie, en effet, un fait fondamental dans le
scénario de la crise : c'est l'extraordinaire volatilité des taux d'intérêt
provoquée par les autorités monétaires. C'est elle qui brouille les messages du
long terme et incite à des comportements cycliques.
À cela s'ajoute un autre
élément d'instabilité, également créé par les autorités monétaires, à savoir l'incitation
à accepter des risques excessifs (ce que l'on appelle parfois le « risque moral
»).
Qu'en est-il tout d'abord des
taux d'intérêt ? Ils ont connu au cours des années récentes des fluctuations
extraordinaires et qui n'avaient rien à voir avec les réalités fondamentales. Ainsi,
de janvier 2001 à juin 2004, les autorités monétaires américaines, craignant à
tort une déflation, ont fait varier leur objectif de taux pour les fonds
fédéraux de 6,5 % à 1 % !
Parallèlement, il y a eu
évidemment une importante création monétaire. Les excès de liquidités ainsi
créées artificiellement ont trouvé leur utilisation non pas tellement sur les
marchés de produits - d'où l'impression que la politique monétaire n'était pas
inflationniste - mais sur les marchés financiers, entre autres sur le fameux
marché des crédits hypothécaires subprime. La politique monétaire a ensuite été
inversée, puisque l'objectif de taux pour les fonds fédéraux a atteint
récemment 5,25 %. Il en est résulté une restriction monétaire qui explique les
difficultés rencontrées récemment par différents établissements financiers. Autrement
dit, on ne peut pas analyser la crise financière actuelle sans en rechercher
les causes antérieures.
Au lieu d'interpréter la
bulle financière comme un phénomène purement autonome qui éclate soudain par
suite d'une « crise de confiance », il convient d'analyser la bulle comme le
résultat d'une politique monétaire éminemment cyclique. Ce ne sont pas les
marchés financiers qui sont instables et « court-termistes », ce sont les
autorités monétaires qui introduisent l'instabilité sur les marchés financiers
et qui prétendent ensuite, les sauver par leurs interventions !
Mais, dira-t-on, si les
acteurs des marchés financiers étaient véritablement rationnels, ils auraient
dû se rendre compte de l'instabilité de la politique monétaire et être plus
prudents. En fait, il serait plus correct de dire qu'ils ont agi
rationnellement à partir d'informations incorrectes, d'autant plus incorrectes
d'ailleurs, que les décisions des autorités monétaires sont particulièrement
imprévisibles.
Mais ils ont aussi été d'autant
plus tentés de réaliser des placements trop risqués que les autorités
monétaires ont suscité l'idée, au fil du temps, que leur rôle consistait
précisément à évacuer largement les risques en partant à la rescousse des
établissements menacés, si d'aventure leurs prises de risque excessives les
conduisaient au bord de la faillite.
Et c'est exactement en ce
sens qu'il convient d'interpréter les interventions récentes des banques
centrales. Celles-ci renforcent la conviction que les risques sont atténués, incitant
à des comportements imprudents, en attendant la prochaine crise... Les hommes politiques
sont tentés de penser qu'une meilleure coordination des interventions des
banques centrales serait souhaitable. Mais tel n'est pas le problème essentiel.
Ce qui serait nécessaire
serait une profonde modification des systèmes monétaires mettant fin à la
tentation des autorités monétaires de pratiquer des politiques monétaires
discrétionnaires. [Au final, ce qui est évoqué là, c’est la privatisation des
banques centrales ou le retour à un étalon physique, deux hypothèses peu
probables]
Pascal Salin