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"Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde"
(Albert Camus)
Entre la justice des
Iraquiens et la prose des alliés du gazeur (info # 010901/7) [Analyse]
Par
Guy Millière © Metula News Agency
« Répulsion », s’est écrié l’un. « Dégoût », a renchéri l’autre. « Malaise »,
ont commenté les plus modérés. Le moins qu’on puisse dire est que les réactions
à l’exécution de Saddam Hussein émanant des journalistes, intellectuels et
politiques en Europe ont été imprégnées d’un sentiment de supériorité morale,
de condescendance, voire de mépris. Avec l’élégance hautaine qui le
caractérise, le ministère français des Affaires Etrangères a « pris acte » de
l’exécution, tout en réaffirmant plaider pour « l’abolition universelle de la
peine de mort ».
Dans un éditorial, le
journal Le Monde, mètre étalon du « politiquement correct » à la
française a, après quelques paragraphes de pure convenance rappelant que
l’ancien maître de Bagdad s’était effectivement mal conduit, fait part d’un
effroi visible : « la justice des vainqueurs a toujours quelque chose
d’inquiétant », s’épouvanta-t-il. L’édito expliquait plus loin, à propos de
l’Amérique de George Bush, qu’elle « ne sait ni pourquoi maintenir ses 140 000
soldats en Irak ni comment les retirer » et qu’elle se réclame d’une conception
de la démocratie qui « n’est pas la nôtre ». Dans le Figaro, Roland
Dumas est allé jusqu’à utiliser le terme de « monstruosité », et Michel
Barnier, lui, n’a pas raté l’occasion qui lui fut offerte de pointer du doigt
la source de tous les problèmes, en Irak et ailleurs : Israël, bien
sûr !
Rien de très surprenant, c’est à se demander si l’Etat hébreu n’est pas
également responsable de ses hémorroïdes et du naufrage du Titanic ; on
pouvait, en effet, s’attendre à ce qu’ils se comptent sur les doigts d’une
seule main, à condition que celle-ci soit amputée de quelques doigts, ceux qui
sauvent l’honneur de ce côté-ci de l’Atlantique. Je vois là un signe
supplémentaire du fossé qui continue à se creuser entre les Etats-Unis et
l’Europe, et une démonstration de plus du naufrage mental de ceux qui
prétendent incarner l’intelligence européenne.
Aux Etats-Unis, seule a cédé à l’inclination européenne une infime frange de
l’extrême-gauche. Inversement, une même proportion, ultra minoritaire,
d’éditorialistes ou de politiques européens a adopté un discours audible en
Amérique. Je serai donc encore très seul à énoncer en français ce qui, à mes
yeux, est primordial :
1. On aurait pu souhaiter que d’autres procès puissent avoir lieu aux fins que
Saddam Hussein soit jugé pour l’ensemble de ses innombrables crimes. La justice
irakienne en a décidé autrement. C’est son droit. Comme l’a écrit un
éditorialiste de Washington, « c’est leur pays ». On peut comprendre que de
nombreux chiites et Kurdes aient souhaité tourner la page au plus vite et
connaître non pas, comme on l’a dit en France, la « vengeance », mais la
délivrance, qui vient lorsqu’on a le sentiment que justice a été rendue et
qu’on peut enfin pleurer ses morts sans voir planer au-dessus d’eux la
silhouette insistante de l’assassin. Au surplus, la mort de Saddam Hussein
n’empêchera pas de découvrir ce qui reste à savoir concernant les sanglantes
années de son règne dictatorial, et ceux qui ont parlé de cette mort comme
d’une façon de faire disparaître des preuves, sont à l’histoire ce qu’un analphabète
est à la littérature.
2. Ceux qui critiquent avec dédain la justice irakienne seraient plus crédibles
s’ils accompagnaient leurs propos de preuves de leurs condamnations de cette
même justice au temps de Saddam et, surtout, s’ils témoignaient de leur
satisfaction que la dictature soit tombée et se préoccupaient effectivement et
concrètement que les Irakiens puissent vivre enfin libres et en paix. La
population irakienne a voté plusieurs fois, lors d’élections pluralistes et au
suffrage universel. Elle a adopté une constitution. Elle émerge avec difficulté
de plus de trois décennies de monstruosités. Un gouvernement tente de
gouverner. Une armée et une police tentent de se constituer. Un tribunal a
présenté des preuves accablantes contre un criminel avéré, donné la parole à
des témoins, à l’accusé, à des avocats. Il y a eu des meurtres et de la
violence. Il y a eu une condamnation dont il est très difficile de prétendre
qu’elle soit injuste.
Ce qui se cache derrière
ces propos méprisants, c’est une morgue d’anciens colonisateurs vis-à-vis
d’Arabes qui ne seraient pas capables de se doter d’institutions dignes de ce
nom, mais que, bien sûr, on n’aidera pas pour autant à le faire. Au temps de la
dictature, les dédaigneux dormaient calmement dans leurs lits. Aujourd’hui, ils
ont des aigreurs d’estomac constatant que des Arabes ont la prétention de se
hisser à la hauteur morale et juridique de leurs anciens maîtres. Qu’un dédain
aux relents colonialistes émane, surtout, de la gauche européenne, prête à sourire
ironiquement. La conception de la démocratie en Irak n’est effectivement
« pas la nôtre », comme l’écrivait le quotidien français.
L’Irak est une
démocratie balbutiante, avec les soubresauts qui peuvent en résulter. La
démocratie française, elle, se donne toujours les allures d’un fleuve
tranquille. Je dois me tromper si je crois me souvenir que la Première
République a été suivie par la Terreur, que la seconde s’est achevée par le
coup d’Etat de celui qui allait devenir Napoléon III, que la Troisième
République est née après les émeutes de la Commune et s’est achevée dans le
naufrage pétainiste. Qu’il y a eu des émeutes sous la Cinquième République en
novembre 2005. Que la France a tout fait pour sauver la dictature de Saddam
Hussein avec laquelle elle était en affaires assez grasses, mais strictement
rien pour l’installation de la démocratie à Bagdad, bien au contraire.
Et j’attends encore des
reportages montrant l’étendue des horreurs du régime de Saddam, la
reconstruction de l’économie dans les régions kurdes du Nord et chiites du Sud,
ainsi que les entretiens télévisés avec le Président ou le Premier ministre
irakiens ! J’ai l’impression que l’impeccable démocratie dont parle Le
Monde s’accommode des meurtres, des massacres et des crimes contre
l’humanité tant qu’ils sont commis chez des Africains ou des Arabes, mais
s’indigne lorsque ces derniers tendent à devenir un peu plus libres.
3. Si la liberté en Irak n’était pas venue de l’Amérique, les éditorialistes du
Monde n’auraient sans doute rien eu à redire. Mais il est vrai que si
elle n’était pas venue des Etats-Unis, elle ne serait venue de nulle part, car
la plupart des Européens s'accommodent extrêmement bien de l’absence de liberté
chez les Africains et les Arabes. Il m’arrive presque de croire qu’ils se
réjouissent lorsque ces derniers se massacrent entre eux, lorsqu’ils vocifèrent
en prenant la pose du « bon révolutionnaire » et lorsqu’ils tuent des
Juifs et des Américains.
C’est un fait qu’au
vingtième siècle, seuls les Américains ont apporté la liberté en intervenant
dans le monde. Ils ont, certes, commis des erreurs, quelquefois des crimes,
mais ils ont essentiellement été fidèles à leurs idéaux. Pour les Etats-Unis,
la démocratie peut s’exporter, des populations soumises à la barbarie
totalitaire ont le droit imprescriptible d’en être délivrées ou protégées, et
c’est toujours un échec quand la liberté et la protection ne peuvent triompher.
Si les Etats-Unis n’avaient pas exporté la démocratie dans les années 1940, les
rédacteurs du Monde écriraient en allemand ou en russe, ou encore dans
un français revu et corrigé par les descendants de Philippe Henriot qui, en son
temps, disait déjà que la démocratie ne peut s’exporter, surtout si elle vient
de Londres ou de Washington, et qu’à Paris, on n’avait pas la même conception
de la démocratie qu’outre-Manche et outre-Atlantique.
Le gouvernement
américain est persuadé que l’islamisme est un totalitarisme qui a déclaré la
guerre à la civilisation, que cette guerre sera longue mais victorieuse, que
les populations du monde arabo-musulman méritent d’avoir un autre horizon que
le choix entre fanatisme totalitaire et dictature barbare et que, parfois, un
changement de régime s’impose. A Washington, la conception de la liberté est telle
qu’on n’envisage pas de vivre librement et paisiblement dans un pays pendant
qu’on massacre et torture dans un autre, et qu’on dispose de la capacité d’agir
pour que cela cesse. Et la conception de la démocratie y repose encore sur
l’idée qu’il existe une différence entre le bien et le mal, et qu’un criminel
incarnant le mal absolu doit subir un châtiment proportionnel à ses crimes.
Les bien pensants
européens, quant à eux, estiment que les islamistes peuvent être gentils si on
ne les énerve pas, que la soumission apporte la paix, que la reddition
préventive est une vertu, qu’il n’y a pas de fanatique totalitaire ou de
dictateur barbare avec lequel on ne finisse par s’entendre et commercer, qu’il
faut pratiquer la diplomatie avec les pires assassins, quitte à en mourir (en
prônant que, éthiquement, on leur est supérieur), et qu’on peut vivre libre et
en paix chez soi tandis qu’ailleurs, le pire survient sans que l’on ne s’en
inquiète. La conception de démocratie et de liberté en Europe n’est effectivement
pas la même qu’en Amérique. Si l’on adoptait la conception européenne à
Washington, il n’y aurait plus de démocratie du tout dans le monde.
4. La mort de Saddam Hussein ne réglera pas la situation en Irak. L’année qui
commence sera, sur ce plan, décisive. Les bien pensants européens espèrent une
déroute américaine – cela transpire comme leur haine de chacun de leurs
articles - et un retrait précipité de l’armée US. Il est visible qu’ils
souhaitent que les Irakiens, qui ont osé croire qu’ils pouvaient approcher de
la liberté, soient eux-mêmes punis de leur impudence. Ils se font des frayeurs
en imaginant le chaos et la guerre civile en Irak, et sont prêts à brandir un
bouc émissaire tout désigné, Israël, qu’ils n’hésiteraient pas à sacrifier au
nom de « la paix », prétextant que tout cela, comme d’habitude lorsqu’ils sont
à court d’arguments, « c’est la faute aux Américains ».
Il n’en reste pas moins vraisemblable que l’administration Bush poursuivra,
avec détermination, dans la voie qu’elle s’est tracée. Le rapport Baker a
rejoint la corbeille à papiers, ce qui était, dès le départ, sa destination
logique. Des erreurs ont été commises au cours des trois dernières années dans
la façon dont l’intervention en Irak a été menée. Mais, contrairement à ce que pensent
nombre d’Européens, Bush sait exactement pourquoi les soldats américains sont
en Irak, et quand et comment les en retirer. Il ne se donnera toutefois pas la
peine de l’expliquer aux éditorialistes du Monde, qui savent déjà tout,
car ils sont d’une essence intellectuelle supérieure. Du moins croient-ils
l’être, les prétentieux ! Et puis, ce qu’on pense en France est devenu,
désormais, si important à l’échelle de la planète…