Les feux du crépuscule (info # 012907/7)

 

Par Guy Millière

Sunday 29 July [19:29:00 BST] 

 

© Metula News Agency

 

 

De toutes façons, c’est l’été, et l’important, pour des dizaines de millions de Français, est qu’il fasse beau sur les plages.

 

Je viens de rentrer en France après plusieurs semaines passées aux Etats-Unis. M’extraire de ce pays à intervalles réguliers est devenu nécessaire à ma santé physique, mentale et morale. Ce n’est pas tant qu’il n’y ait pas d’imbéciles et d’esprits étroits aux Etats-Unis, c’est qu’il y est, davantage qu’en France, possible de les éviter. C’est aussi que les imbéciles et les esprits étroits ont moins de pouvoir aux Etats-Unis, et qu’il reste dans la population américaine davantage de salubrité mentale.

 

Cela s’exprime d’abord dans la vie quotidienne. Personne, aux Etats-Unis, n’aurait l’idée pour débile profond de poser des blocs de béton au milieu de la chaussée aux fins de créer des embouteillages et de dire que cela est destiné à « lutter contre la pollution ». Le maire d’une grande ville qui proposerait de mettre tout le monde à vélo serait envoyé consulter le psychiatre le plus proche et se verrait répondre qu’un vélo, ce n’est pas très pratique pour aller faire ses courses du mois ou transporter le petit dernier à la crèche. L’ouverture des magasins le dimanche ne fait pas débat, les supermarchés sont ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et nul ne songerait à asphyxier des activités qui rendent service à la population et créent des emplois.

 

Une fois de retour, je vais regarder les gens mettre deux heures à faire cinq kilomètres dans Paris, à dix-huit heures comme à minuit ; je vais contempler Delanoë essayer de faire davantage d’adeptes de la pédale, je vais voir les gens s’entasser à la caisse d’un supermarché, un samedi soir vers vingt deux heures, juste avant la fermeture obligatoire. Je saurai que cela peut fonctionner différemment, et j’aurai envie de sourire. Je penserai aussi que cela fait partie du déclin français et européen. « Ce n’est pas tant que l’Europe meurt, c’est qu’elle se suicide en s’asphyxiant elle-même », me disait, voici quelques années, un ami installé depuis longtemps à San Francisco. Et plus le temps passe, plus ses propos me semblent exacts et renvoyer à bien davantage.

 

Ce que l’on constate au niveau de la vie quotidienne renvoie, de fait, à un arbitraire politique, à une confiscation de la démocratie, à un système de droit et de justice dévoyé, à des phobies disséminées, à l’inculcation de comportements ineptes et d’une vision du monde profondément perturbée.

 

En France, Nicolas Sarkozy, qui vient d’être élu Président de la République, est présenté comme un homme de droite et, à écouter ce qu’en dit la gauche, comme un « libéral ». En Grande-Bretagne, on le situe cependant sur la gauche de Tony Blair et de Gordon Brown, qui, eux-mêmes, aux Etats-Unis, apparaissent déjà trop marqués par le socialisme à l’européenne ; trop dangereux pour le dynamisme économique, même pour en faire des candidats à l’investiture du Parti Démocrate. En France, dans le même temps, on ne comprend strictement rien à la mondialisation en cours, et on tente vainement de l’expliquer en recourant à des raisonnements économiques qui, outre-Atlantique, ont été relégués, à gauche comme à droite, au magasin des antiquités depuis un bon quart de siècle.

 

En Europe, on essaie de rafistoler la « construction européenne », en feignant de ne pas s’apercevoir, qu’à l’heure des réseaux, de la dématérialisation de la monnaie et de la prééminence des services, elle ressemble de plus en plus à un Titanic ressuscité, lancé à pleine vitesse contre l’iceberg de la réalité contemporaine. Plutôt que de voir les rigidités réglementaires et pyramidales qui viennent tout pétrifier, et qui font que les vingt sept Etats de l’Union ont d’ores et déjà moins d’autonomie et de liberté de décision que n’importe lequel des cinquante Etats des Etats-Unis, on entend encore réduire l’autonomie et la liberté de décision des Etats européens, et ce au nom de l’ « efficacité ».

 

On essaie de voir comment sauver le « modèle européen » en ne discernant pas que les engrenages redistributifs, le politiquement correct, l’amnésie, en termes d’histoire, contribuent à une fuite dans le présent, à une peur de l’avenir, à un aveuglement collectif et à une dénatalité. Qu’ils hypothèquent le futur et feront du continent, d’ici trente ans, un hospice de vieillards occidentaux, entourés de jeunes musulmans frustrés et pas du tout prêts à payer les retraites de ceux qui se seront montrés si peu prévoyants en leur temps. A ce moment là, je ne sais si on parlera encore d’éoliennes et d’effet de serre, mais je sais qu’on lira largement le Coran : de manière radicale ou modérée ?  La question ne semble pas préoccuper grand monde aujourd’hui. A ce moment là, je ne vois pas comment la démocratie qu’on est en train de réduire à néant sur le sol européen pourra renaître de ses cendres. George Santayana disait qu’une société démocratique, pour fonctionner, devait être d’accord sur l’essentiel et ne plus débattre que de points relativement secondaires. Au cœur de cet essentiel, Santayana situait la liberté individuelle. Les Européens semblent avoir renoncé à la liberté pour eux-mêmes, sinon accepteraient-ils ce qu’ils acceptent avec résignation dès aujourd’hui ? Ils paraissent aussi renoncer à la liberté pour les autres ou la trouvent inadmissible.

 

Cela commence, disais-je, par la vie quotidienne qui, en France et ailleurs en Europe, est striée de renoncements. Cela se poursuit dans la politique, entre confiscation de la démocratie et endormissement de l’esprit d’initiative, sous l’édredon passivant de l’Etat providence. Cela se prolonge dans un rêve cotonneux, où le seul problème sur terre est « l’exploitation de l’environnement », où les entrepreneurs sont potentiellement méchants et les bureaucrates gentils, et où la paix éternelle règnerait si tout le monde s’anesthésiait au même instant. Le rêve cotonneux vient définir l’Europe comme une expression du positif, dont les Etats-Unis et Israël seraient le négatif.

 

Les Etats-Unis sont, en effet, un pays où la liberté de parole, d’initiative et de décision garde encore un sens. C’est un pays où règnent une prospérité et un dynamisme de plus en plus impensables en Europe. Où la contrepartie de la prospérité et du dynamisme sont quelque chose de plus impensable encore en Europe : la nécessité de prendre ses responsabilités et d’assumer les risques qui vont de pair avec les responsabilités.

 

Les USA forment un pays où on ose encore parler du bien et du mal et de la nécessité de combattre le totalitarisme, lorsqu’il se profile et menace. En Europe, ni le bien ni le mal ne s’énoncent encore et tout est négociable, y compris les compromis avec les totalitaires, qu’on n’ose plus appeler par leur nom. Israël est un pays qui doit rester debout et dynamique pour vivre. Et c’est un pays où le mal se trouve redéfini chaque jour par l’incessante menace terroriste et fanatique. Les Etats-Unis et Israël sont des empêcheurs de s’anesthésier en rond et de mourir paisiblement. Des contrées qui rappellent que l’histoire n’est pas achevée et qu’on peut et doit faire, devant la barbarie, autre chose que se coucher et fermer les yeux.

 

Quand j’étais aux Etats-Unis, voici quelques jours encore, on parlait de la menace iranienne sans circonlocutions ; on exposait le danger incarné par l’islam radical, par le Hezbollah et par le Hamas. Des adeptes d’une lamentable politique politicienne, tels Harry Reid, John Murtha ou Barack Obama évoquaient un retrait précipité d’Irak, mais ils se voyaient répondre par des gens parlant de la nécessité de ne rien céder au terrorisme. Des éditorialistes critiquaient Israël, mais d’autres éditorialistes, bien plus nombreux, de gauche et de droite, présentaient Israël comme un pays confronté à mille haines sans fondements et à défendre sans réserve.

 

De retour en France, je ne vois guère mention de l’islam radical et de ses périls ; le Hamas est défini comme un groupe d’ « activistes », comme toujours, et le Hezbollah, comme un « mouvement politique libanais ». L’Irak est, plus que jamais, présenté comme un « bourbier » et classé dans la grande rubrique « c’était tellement mieux sous Saddam ». Le mot « terrorisme » est utilisé pour définir les attentats manqués de Londres et de Glasgow, mais pas pour qualifier les attentats suicides du côté de Bagdad.

 

Si la paix n’avance pas au Proche-Orient, c’est, bien sûr, la faute d’Israël, et, cela va de soi, celle des Etats-Unis, pas celle des islamistes. Le colonel Kadhafi vient de mettre fin à une prise d’otage qui a duré plus de huit ans, après avoir obtenu le beurre, l’argent du beurre et même la fromagerie, et il se voit récompensé par des courbettes obséquieuses. Le discours biaisé des hommes politiques se tient en harmonie avec le discours également biaisé des journalistes et des commentateurs. De toutes façons, c’est l’été, et l’important, pour des dizaines de millions de Français, est qu’il fasse beau sur les plages, y compris celle que Delanoë a installé le long de la Seine. Sous les pavés la plage, disait-on en Mai 68. Sur la plage ? Les lueurs d’un crépuscule dans lequel, je ne puis décidément plus me reconnaître.