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© Metula News Agency
Comment priveront-ils Nasrallah de revendiquer la victoire, même si, en fin
de compte, il ne lui restera plus que son turban pour cacher sa calvitie ?
La Ména continuera à informer ses lecteurs de l’évolution de la situation, par
voie de communiqués continus sur ce site, pour les développements mineurs, et
par l’envoi de "breaking news" à ses abonnés, en cas d’événements
majeurs.
Nous y avons mis le temps, mais nous avons fini par
comprendre… Encore ne fut-ce qu’après avoir reçu l’explication de membres des
cercles décisionnaires qui définissent la conduite des opérations de Tsahal.
Nous sommes au courant depuis quelques jours déjà du contenu de cet article
mais j’ai attendu que les combats progressent jusqu’à une certaine phase de
leur déroulement pour le diffuser. Après tout, nous ne sommes pas là pour
influer sur le cours du conflit. Notre fonction se borne à en narrer le
déroulement et à le décortiquer pour aider nos lecteurs à mieux le déchiffrer.
C’est de stratégie et de tactique qu’il est
question ; de celles qui ont été adoptées et suivies par l’armée
israélienne lors de cette guerre qui ne s’est toujours pas trouvé un nom.
J’avoue, de plus, et humblement encore, que durant la première douzaine de
jours qu’a duré ce conflit, Jean Tsadik, moi-même, et les autres experts en
stratégie avec lesquels nous échangeons des informations quotidiennement,
avions grand peine à trouver une logique dans les actions au sol des forces
israéliennes que nous constations. Une poignée de grands généraux de réserve,
moins patients que nous, nous pressaient de faire entendre nos doutes. Les
mêmes que ceux qui les empêchent de dormir.
Le consensus et la compréhension existaient quant au
rôle de l’artillerie, de l’artillerie de marine et, surtout, de l’aviation. De
toutes les façons, tout le monde saisit bien que ces trois armes sont occupées
à pilonner les centres de commandement de l’ennemi, ses casernes, ses fortins,
ses dépôts d’armes et de munitions ainsi que les rampes de lancement des divers
types de roquettes et de missiles et leurs servants. Le questionnement et le
doute concernent le rôle des forces terrestres…
Et à propos du plancher des vaches, il est vrai que,
si la compréhension d’un conflit armé se décompose en trois éléments –
conceptualisation, tactique et stratégie –, nous tous, n’en distinguions
aucun ! C’était presque à se demander si l’armée n’entreprenait pas ses
opérations de manière spontanée. Sans alourdir l’explication pour les
non-initiés, la conceptualisation consiste à reconnaître la nature militaire du
différend, le rapport des forces, ses spécificités, ses propres forces et
faiblesses relatives. La tactique c’est, une fois que l’on sait dans quelles
eaux on nage, le choix des moyens et des méthodes qu’on va utiliser pour mener
le combat, et la stratégie, c’est le choix des objectifs militaires que l’on
compte poursuivre, en vertu des deux premières analyses et en interaction avec
elles.
L’ensemble des outils que je viens de décrire est
censé constituer une science qui se veut aussi exacte que la mathématique.
Aussi, puisque nous n’y entendions rien, après autant de jours d’affrontements,
Jean, les conseillers, les généraux et votre serviteur commencions à envisager
soit de prendre notre retraite, soit d’alerter l’opinion sur le fait que Tsahal
se débattait sans tête.
Les généraux à la retraite essayèrent alors de forcer
la porte du ministère de la Défense pour faire entendre leur profonde préoccupation.
Des ministres, dont l’ex-général et ex-ministre de la Guerre, Fouad
Ben-Eliézer, et le président du Comité de la Défense et des Affaires
Etrangères, Youval Steinitz, assaillirent de leur inquiétude le premier
ministre Olmert et son entourage. D’autres, beaucoup d’autres, sonnèrent la
charge dans les media pour qu’on leur fournisse une explication.
Maintenant nous l’avons. Surprenante. Déroutante,
même, mais pas stupide. Tous nous nous trouvâmes déjà soulagés par le fait que
Tsahal suivait un plan, car à mener une bataille sans doctrine, on envoie
irrémédiablement ses hommes au casse-pipe. En gros, voici en quoi consiste le
concept mis au point par les actuels tacticiens de Tsahal :
D’abord, ils ont défini que les objectifs de cette
guerre n’étaient pas d’éventuels gains territoriaux, dont Israël n’a que faire,
mais qu’il s’agissait de détruire les infrastructures et les capacités
militaires du Hezbollah ainsi que d’en anéantir les troupes d’élites. Suivez
bien, s’il vous plaît, chers lecteurs, car cette perception conceptuelle est
prépondérante pour saisir la suite !
Ensuite, les stratèges de Jérusalem ont justement
remarqué que le Hezbollah ne disposait que d’une force combattante extrêmement
réduite : nos évaluations concordantes font état de 7 à 800 miliciens en
tout. Sans compter les individus qui lancent les roquettes sur Israël et qui
sont des auxiliaires des intégristes ultra-spécialisés, ni les
"soldats" de pacotille qui défilent régulièrement, en levant les
genoux bien haut, dans les rues du sud de Beyrouth.
Israël, quant à elle, dans l’équation de sa guerre
avec les hommes de Nasrallah, dispose d’un réservoir de combattants d’élite
pratiquement intarissable. Ce qui représente un avantage relatif certain.
Encore fallait-il trouver les forces d’élite du Hezbollah pour les
éliminer. Et sur ce point, l’avantage se situe du côté des Fous de
Dieu ; il sont dispersés sur l’ensemble du terrain, par petits groupes
autonomes, connaissant le relief à la perfection, et capables d’infliger des
pertes douloureuses à une armée régulière.
D’où l’idée des stratèges israéliens de provoquer
Nasrallah. D’accepter le combat selon ses termes, fantassin contre fantassin,
presque à armes égales. D’où l’expression, répétée à maintes reprises par des
officiers supérieurs de l’armée – et qui ne manqua pas de nous surprendre –,
selon laquelle "le Hezbollah est un mouvement de guérilla et nous aussi,
nous nous battons comme un mouvement de guérilla !".
L’idée a consisté à focaliser la confrontation
terrestre autour de deux ou trois points-clés et à donner à l’état-major
irano-hezbollien l’impression qu’il pourrait remporter des batailles décisives.
Ceci explique que, depuis le début des combats, et jusqu’à l’offensive massive
qui a débuté avant-hier à Metula et qui n’a de cesse de se développer, la
grande Tsahal n’avait attaqué, au sol, que deux bourgades :
Maroun el-Ras et Bint J’bail. Encore les Israéliens avaient-ils choisi deux des
trois bastions les mieux défendus du Hezbollah, ceux dans lesquels il avait le
plus investi, construit le plus de fortifications, les deux places fortes
auxquelles les islamistes tenaient le plus.
Pour réaliser l’objectif choisi de mettre hors combat
les seules forces tactiquement menaçantes pour Israël, il fallait les attirer
dans ces batailles, pousser Nasrallah à envoyer au point de contact tous les
renforts dont il disposait, réunir de la sorte, en deux endroits, les miliciens
insaisissables, dissimulés dans la nature. Côté israélien, on devait compter
sur la supériorité qualitative de nos meilleurs commandos, tout en laissant le
gros des chars et des canons en deçà de la mêlée, afin de ne pas effrayer
l’ennemi. En effet, si le Hezbollah avait décelé une attaque massive, il aurait
décroché et le plan des stratèges israéliens aurait échoué. Il fallait, au
contraire, que les intégristes acceptent de se battre et c’est ce qu’ils
firent…
Tous les éléments du Hezb engagés à El-Ras et Bint
J’bail ont été soit liquidés, soit faits prisonniers. La seule unité de
commandos d’élites de Nasrallah, l’une des meilleures des armées arabes,
soit-il concédé en passant, forte d’une cinquantaine d’unités, a été totalement
annihilée, lors de trois engagements d’une férocité incroyable. 250 Hezbollani
ont été ainsi mis hors de combat, parmi lesquels deux des trois chefs
militaires dont ils disposaient au Liban-Sud : l’opposition armée
significative des intégristes est désarticulée, incapable désormais de poser
des problèmes substantiels au gros des forces terrestres des Hébreux.
Des Hébreux qui ont payé un prix douloureux pour
atteindre leur objectif : une vingtaine de morts dans les rangs de leurs
troupes d’élite. En fait, d’élite de leur élite…
Ceci, c’est l’explication de ce que certains ont perçu
– nous y compris – comme des hésitations, des faiblesses de la part des soldats
d’Israël ou une résistance "dure à casser" de la part des islamistes.
Ils se sont certes vaillamment battus mais rien de plus. Israël leur a tendu un
piège et ils sont tombés droit dans le panneau, les pieds devant.
La preuve de la réussite de cette manœuvre s’est
révélée à nous lors de l’observation de la bataille de Kfar Kileh, là, juste
sous nos fenêtres. Nasrallah ne dispose plus de véritables combattants à lancer
dans l’affrontement, et le peu qui lui en reste, il le garde précieusement pour
ne pas se retrouver nu comme un ver. Comptez par vous-mêmes : trois
miliciens tués à Kfar Kileh, un autre fief du Hezb, entièrement chiite, de
17'000 habitants avant le début des opérations. Aucun mort israélien, une
bataille de quelques heures dans un rapport de forces de 1 islamiste pour 200
Israéliens.
La voie vers un déploiement massif de Tsahal entre le
fleuve Litani et la frontière internationale est désormais largement ouverte,
avec la perspective raisonnable d’effacer toute trace du Hezbollah dans ce
périmètre. D’ailleurs, et nous l’avons annoncé hier sur notre fil d’info, une
unité d’infanterie des Golani a déjà les pieds dans l’eau dans la région
de Taïbeh.
Liban
Voir
les fleuves Litani et Awali dont il est question dans l’article
Pour réussir ce pari tactique extrêmement audacieux,
il a fallu réunir un certain nombre de conditions et accepter un certain nombre
de risques fort inhabituels. Tout d’abord, il fallait qu’Ehoud Olmert ait une
confiance absolue dans le soutien politique et diplomatique de son allié, le
président George Bush. En suivant l’option militaire choisie, Israël a encore
besoin d’une dizaine de jours ; interrompre l’opération actuellement en
cours permettrait au Hezb de se ressaisir et de reconstruire sa capacité
militaire au Sud-Liban. Sur le plan politique, donc, tout repose sur le veto
systématique de l’ambassadeur américain Bolton contre les propositions soumises
au Conseil de sécurité, visant à mettre un terme prématuré au plan militaire
israélien.
Mais l’alliance entre Washington et Jérusalem semble
solide, et certains, comme Hassan Nasrallah lui-même, considèrent la Maison
Blanche encore plus résolue à en découdre que le gouvernement hébreu. Les
bribes d’informations en notre possession, basées sur de rares indiscrétions de
diplomates, leur donnent absolument raison. L’écrasement du Hezbollah participe
de la stratégie globale de lutte des Etats-Unis contre le terrorisme islamique.
Pas étonnant, dans ces conditions, que la France chiraquienne, décidément
incurable de sa pathologie chronique de Fachoda, multiplie les initiatives
destinées à imposer un cessez-le-feu et à sauver le Hezbollah de
l’anéantissement. Et que Chirac cesse donc de nous faire rire avec ses
soi-disant considérations humanitaires pour la population libanaise : on
ne peut pas, simultanément, se soucier des civils morts à Kfar Kana et jeter
des Tutsis, encore plus paisibles et innocents, par les portes ouvertes des Puma !
Ceci, c’est pour l’aspect politique et diplomatique de
l’option militaire suivie par l’armée et l’exécutif israéliens. Reste les
risques que ces deux entités ont pris. Il faut même parler de "sacrifice
calculé", puisque le choix qu’ils ont fait implique qu’ils ont laissé
soumettre un million de leurs compatriotes, 19 jours durant, aux tirs de
roquettes de la part des intégristes chiites. Près de 3'000 de ces engins ont
tué, blessé, terrorisé et paralysé la vie dans le nord du pays, affectant
lourdement la troisième ville d’Israël, Haïfa.
Etait-ce évitable ? – Assurément ! Les
tenants de l’ancienne école sont en faveur d’une action de Tsahal sous forme
d’offensive éclair, de Blitz, mené par des forces très conséquentes jusqu’au
fleuve Awali. Cette autre option stratégique a, en outre, l’avantage
d’encercler tous les combattants du Hezbollah restés au Sud, et de s’épargner
les délicates et coûteuses conquêtes de leurs bastions : en principe,
"ils tombent tous seuls"…
De plus, l’option Blitz, qui, pour la
réalisation de son 1er acte, soit parvenir au Awali sur trois axes
et se déployer le long du fleuve, nécessiterait entre 6 et 36 heures et
générerait entre 50 et 100 tués dans l’armée israélienne, présente l’avantage
certain de soustraire le gouvernement de Jérusalem à la menace d’un
cessez-le-feu prématuré. En effet, si Tsahal campe sur le Awali lorsqu’un arrêt
des hostilité est déclaré, la communauté internationale considérerait que le
territoire compris entre la rivière et la frontière est occupé par l’armée
israélienne, ce, même si des poches de résistances demeurent dans ce périmètre.
Encore, si l’on avait suivi cette option, on aurait pu
faire cesser la presque totalité des tirs de Katiouchas depuis plusieurs jours.
Et puis, toute éventuelle force d’interposition internationale préférerait
recevoir de nos mains un territoire "nettoyé" de la présence de
l’organisation terroriste islamiste, c’est une évidence. Même si, dans le
courant pro-blitz, on préférerait nettement s’arranger directement avec les
Libanais, voire leur remettre graduellement la région qui serait entre nos
mains.
Les tenants de la doctrine en cours ne manquent pas
non plus d’arguments pour répondre à leurs contempteurs. D’abord, disent-ils,
le fait d’occuper physiquement le Liban établirait, à nouveau, le Hezbollah
dans une dimension de "mouvement de résistance et de libération
nationales", ce qui n’est pas dans l’intérêt d’Israël. Ensuite, le
nettoyage du Liban-Sud serait coûteux en hommes et en ressources ; puis,
l’occupation du grand Sud libanais n’empêcherait nullement les tirs de missiles
à moyenne et longue portée en direction de la Galilée. Et Tsahal, si elle est
une excellente armée de mouvement, s’est toujours avérée fort médiocre dans les
tâches d’occupation et de gestion des populations sous son contrôle. Ce genre
d’occupation, corrompt, rend oisif et par là vulnérable, et à la Ména,
nous pouvons effectivement témoigner que ce fut une armée israélienne en
lambeaux qui quitta le Liban au printemps 2000.
Enfin, avancent les partisans de la méthode actuelle,
s’il ne se trouve aucun parti fiable qui accepte de nous remplacer dans les
mois à venir, il nous faudrait gérer durablement, et au prix fort, une grande
portion d’un pays aussi voisin qu’étranger, ce qui est à l’opposé des intérêts
d’Israël. Israël qui craint, par expérience, l’embourbement au pays des cèdres.
Israël qui voudrait, au contraire, responsabiliser le gouvernement de Beyrouth.
Tout bien pesé, il n’appartient pas aux analystes que
nous sommes de trancher dans un différend de ce type. Les arguments et
contre-arguments des uns et des autres se tiennent. Tout en reconnaissant le
bien-fondé des considérations des stratèges aux commandes, nous déplorons
l’abandon du principe établi par le premier 1er ministre de l’Etat
d’Israël. David Ben Gourion n’était pas un militaire, mais il avait établi le
principe que, lorsqu’Israël était attaquée, il fallait, le plus rapidement
possible, porter le combat sur le territoire ennemi. Jusqu’à cette campagne
sans nom, l’Etat hébreu avait toujours respecté le principe de celui que l’on
appelait Le Vieux Lion. Désormais, elle subit, sans trouver de parade
efficace, des tirs de roquettes sur ses habitants depuis 19 jours. En ce sens
au moins, il est clair que l’armée et le gouvernement faillissent à leur rôle
principal, celui qui consiste à protéger les citoyens de cet Etat. Cela a non
seulement des conséquences sur la perception de leur avenir par les Israéliens,
mais également, cela brise le mythe de leur invulnérabilité. Une exemplarité
qui ne manquera pas d’inspirer d’autres ennemis de l’Etat hébreu, et notamment
les Iraniens, qui appellent désormais quotidiennement à notre éradication.
De plus, nous manquons des éléments concrets nous
permettant de considérer précisément quand la campagne actuelle, menée par les
stratèges new look, prendra fin. Quand ces objectifs seront-ils atteints ?
Quels sont-ils exactement ? Militairement ? Comment priveront-ils
Nasrallah de revendiquer la victoire, même si, en fin de compte, il ne lui
restera plus que son turban pour cacher sa calvitie ?
Il y a trop de ces questions qui demeurent sans
réponse pour les analystes stratégiques que nous sommes. L’hypothèse que le
chef du Hezbollah puisse rester en vie et qu’il perdure une ossature de son
organisation après qu’elle ait mis le feu à la Galilée, durant au moins 19
jours, a de quoi inquiéter. Nous ne savons même pas comment nos cadets comptent
mettre fin aux tirs de roquettes contre nos maisons, c’est dire la distance qui
nous sépare de leurs conceptions nouvelles. C’est aussi, pour nous, avoir l’honnêteté
d’admettre que ce conflit se terminera sur une "plutôt victoire" ou
sur une "plutôt défaite", tant en valeur absolue qu’en termes
symboliques. Il s’agit d’une nouvelle réalité pour Israël qui sera dure à
digérer.