Monory, reviens, ils sont
devenus fous !
Le Figaro 11/12/2007 | Mise à jour : 12:01 |
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La chronique d’Yves de Kerdrel du 11 décembre 2007.
Revenons un instant sur cette lancinante question du pouvoir
d’achat. Ce n’est pas parce que le président de la République est intervenu
abondamment sur ce sujet, il y a deux semaines, qu’on peut le considérer clos.
Il l’est d’autant moins que la plupart des mesures renvoient à des discussions
entre partenaires sociaux qui auront lieu courant 2008. Autant dire qu’il y a
encore loin de la coupe aux lèvres.
Mais le pire des problèmes est justement là. Quand il s’agit
d’améliorer son niveau de vie, son budget familial, son raisonnable équilibre
entre les recettes du foyer et les dépenses contraintes, vers qui se
tourne-t-on, sinon vers cette puissance tutélaire de l’État. C’est assez
logique puisque, depuis un quart de siècle, l’État s’est fait une spécialité de
distribuer du pouvoir d’achat. Une élection se dessinait à l’horizon et l’on
répartissait des richesses qui n’existaient pas. Le smic augmentait deux fois
plus que de raison. On a même trouvé un gouvernement pour répartir entre les
Français le moindre déficit budgétaire réalisé en une année, c’était l’affaire
de la cagnotte. Non seulement le pays continuait de crouler sous une dette
immense. Non seulement les Français ne demandaient rien. Mais par un simple jeu
politicien on a distribué à tous les Français de l’argent sorti de nulle part.
La nation s’est posée d’em-blée comme la garante du pouvoir
d’achat. Et aucun chef de l’État n’a eu le courage de dire que tel Ubu, le roi
était nu, et que le pouvoir d’achat, c’était uniquement l’affaire de chacun.
Bien sûr l’État pouvait y mettre un peu du sien en diminuant les impôts ou en
allégeant certaines charges. Mais au lieu de dire la vérité, c’est-à-dire que
le pouvoir d’achat, c’est uniquement une question de création de richesses,
puis de juste répartition de richesses, et qu’en dehors de cela un ménage n’a
pas à dépenser plus qu’il ne reçoit, l’État a continué d’entretenir la
confusion.
Lorsqu’on lit les propos de Christine Lagarde, cette si
brillante [brillante ? C’est exagéré : cornichon, par infusion des
autres ministres, conviendrait mieux],ministre de l’Économie des Finances et de
l’Emploi, dans Le Journal du dimanche publié il y a quarante-huit heures, il y
a de quoi tomber à la renverse. La talentueuse locataire de Bercy y explique
que grâce au doublement de la prime à la cuve, au rachat des jours de RTT, à la
distribution d’une prime exceptionnelle, aux effets de l’indexation sur les
loyers et aux mesures adoptées dans la grande distribution, une mère
célibataire pourra bénéficier en 2008 d’un mois de salaire en plus.
En mélangeant des mesures catégorielles, des mesures
sociales qui doivent encore être approuvées branche par branche et entreprise
par entreprise, et puis une sorte de retour à une économie administrée, où les
loyers sont encadrés, et où les grandes surfaces sont censées rendre au
consommateur le fruit des marges excessives qu’elles encaissent depuis dix ans,
voilà donc le problème du pouvoir d’achat réglé. Là ce n’est plus Ubu roi, mais
Alice au pays des merveilles, puisqu’on distribue du pouvoir d’achat sans créer
de richesses nouvelles. Ce qui signifie que quelqu’un ou quelques-uns payent et
qui ne devraient pas être mis à contribution.
«Ce n’est plus “Ubu roi”, mais “Alice au pays des
merveilles»
Mais au fond peu importe… puisque les enquêtes d’opinion
l’ont montrées, toutes ces mesures sont largement approuvées. Les Français ont
été élevés au lait nourricier d’un État encore florissant[Les Français sont
traités comme des enfants et ils en redemandent]. Dès qu’il y a un problème
quotidien, que ce soit celui des chiens méchants, de la hausse du prix du
fioul, ou du poids des cartables, ils se tournent invariablement vers l’État,
comme si seule la responsabilité collective pouvait être impliquée. Et la
République compassionnelle se met en marche avec son cortège de déclarations,
de projets de loi et de déplacements ministériels.
On ne peut pas reprocher au chef de l’État et à son
gouvernement de vouloir régler des problèmes de vie quotidienne, surtout quand
un tiers des Français vivent avec moins de 915 euros par mois. Mais ce n’est
rendre service ni à la France ni à ses habitants que de procéder ainsi. En
Espagne, pays latin comme nous, le pouvoir d’achat est un problème individuel.
Et jamais l’État ne s’en occupe.
Il eut été bien plus honorable, bien plus majestueux de voir
le chef de l’État prendre la parole et dire «vous m’avez élu pour redresser un
État en faillite, je ne vais pas commencer par vous distribuer de l’argent.
Surtout le pouvoir d’achat, c’est l’affaire de chacun : dépensez moins,
laissez-vous moins tenter». Mais le naturel reprend vite le galop. Seul au
cours des trente dernières années, René Monory a réussi à tenir un langage libéral
comme on ne l’avait jamais fait en France. Non pas libéral à la Thatcher. Mais
libéral en reconnaissant que l’État prive chacun de sa liberté d’agir en homme.
Et que plus on desserre la contrainte de l’État plus on permet à l’individu de
s’épanouir, c’est-à-dire de s’affranchir de la tutelle de l’État tout puissant.
responsable [ce qui était exactement la pensée de M. Thatcher ! Le
libéralisme ne se divise pas entre économie et politique]
Jamais autant qu’aujourd’hui l’État n’a été si présent
partout. Dans la vie économique, sociale, industrielle, voire intellectuelle.
Et pourtant, jamais l’État n’a été aussi démuni. C’est le résultat d’une
ambiguïté qui reste à régler entre un président qui a été élu sur la foi du
«faire de la politique, c’est tout tenter» et un État qui ne peut plus, ne doit
plus et ne sait plus jouer les mères poules.
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