Qui finance les régimes spéciaux ?

 

par Pascal Gobry

LE MONDE | 18.10.07 | 14h33  ?  Mis à jour le 18.10.07 | 14h33

 

De plus en plus de personnes trouvent choquant que certaines entreprises accordent des retraites avantageuses à leurs agents. C'est pourtant une simple notion de salaire indirect : si l'on accepte que les salaires soient différents d'une entreprise à l'autre, pourquoi les retraites devraient-elles être alignées ?

 

Mais, ce qui fait problème dans nos régimes spéciaux, ce n'est pas qu'ils soient avantageux, c'est que leurs avantages sont financés par le contribuable ou par un usager captif d'une situation de monopole. En effet, qui finance ces avantages ? Si c'étaient les cheminots, les machinistes de l'Opéra ou les policiers qui finançaient leurs régimes, on ne pourrait rien trouver à redire. Ce ne sont donc pas les avantages qu'il faut montrer du doigt, mais c'est le fait de prétendre réformer des avantages qu'on va rendre "équitables" ; on évite de mettre sur la table de la négociation un financement qui, lui, est inéquitable.

 

L'intention d'escamoter la question du financement, qui pourtant devrait être au centre de la réforme, se lit dans deux contrevérités dont on ne peut comprendre autrement qu'elles soient sans cesse rabâchées : les régimes spéciaux seraient des régimes par répartition ; ils se justifiaient historiquement par la pénibilité des métiers...

 

On nous explique que c'est la diminution drastique des effectifs des entreprises publiques ces vingt-cinq dernières années (c'est-à-dire beaucoup moins de cotisants) qui nous conduit à la faillite des régimes spéciaux. Mais qui peut prétendre que, si les effectifs étaient restés inchangés, les pensions seraient aujourd'hui mieux financées ? C'est bien le contraire qui s'est produit : si les effectifs n'avaient pas fondu, la masse salariale serait telle aujourd'hui qu'il serait impossible de continuer à financer les pensions sans augmenter les tarifs et les aides publiques. Ainsi le rapport très dégradé dans les entreprises publiques, de 1 à 3, entre le nombre de retraités et le nombre d'actifs, est un facteur de survie et non de faillite de leurs régimes de retraite : preuve que ces régimes sont tout le contraire de régimes par répartition.

 

Deuxième contre-vérité assénée afin d'éviter de faire la transparence sur le financement des régimes spéciaux : l'origine de ces régimes se trouverait dans la pénibilité - le cheminot et son charbon. On a presque envie de rajouter : le travail du rond-de-cuir de la Banque de France était si pénible à l'époque qu'on lui a prévu un régime encore plus favorable que celui du cheminot. En vérité, c'est le monopole qui a permis historiquement les régimes spéciaux. Le monopole, voilà qui est commun aux entreprises publiques, non la pénibilité qui se trouve dans maints métiers dans et hors de ces entreprises. Le monopole était la condition sine qua non pour faire financer par les usagers, y compris les plus modestes et les plus tués à la tâche, les avantages de retraite dont bénéficient tous les anciens des entreprises publiques.

 

L'expression "par répartition", s'agissant des régimes spéciaux, est fallacieuse : les pensions des bénéficiaires des régimes spéciaux nesont pas financées par les actifs de ces régimes, mais par l'usager.

 

Mais aussi par le contribuable, quand, pour des raisons sociales, le gouvernement ne veut pas fixer certains tarifs publics aussi haut qu'il serait nécessaire pour couvrir les pensions à verser.

 

Premier corollaire : pour apprécier la valeur de la participation de la collectivité aux régimes spéciaux, il est inexact de s'en tenir au seul montant des subventions affichées. Ce faisant, on en oublie la plus grande part, cette fraction du prix du billet de train qui finance les pensions des agents de la SNCF. Second corollaire : la notion de cotisation n'ayant de sens que dans les régimes par répartition ou par capitalisation, ce que ne sont pas les régimes spéciaux, puisque c'est le contribuable et l'usager, et eux seuls, qui y financent les retraites, aucune cotisation ni patronale ni salariale ne devrait apparaître à ce titre sur les feuilles de paie des agents. C'est pourquoi les comptables qualifient de "fictives" les cotisations qui y figurent pourtant - ce terme technique signifiant que les taux de cotisation n'ont en réalité aucune contrepartie ni financière ni économique. Pourtant, c'est sans rire que ces taux sont cités dans le débat comme des paramètres à prendre en compte tels quels.

 

La réforme annoncée des régimes spéciaux fait l'impasse sur la vraie question : qui finance et à quelle hauteur ces régimes ? Et soyez sûr que demain ces régimes continueront d'être financés non par les futurs bénéficiaires mais par les usagers et les contribuables. Ces derniers sont contraints à financer des retraites confortables pour les autres, alors qu'ils peinent à assurer pour eux-mêmes une retraite décente.

 

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*Pascal Gobry*, syndicaliste, est membre de l'Institut des actuaires.

 

 

Article paru dans l'édition du 19.10.07