11/01/2008
| Mise à jour : 19:00
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A l'issue du Grenelle de l'Environnement, le
président de la République a annoncé la suspension provisoire des cultures
d'OGM en France au motif affirmé de l'insuffisance de leur évaluation
scientifique.
Membres des Académies des Sciences, des
Technologies et d'Agriculture, nous souhaitons intervenir dans un débat afin de
rappeler certains points trop souvent oubliés.
Nous nous étonnons de voir ainsi peu pris en
compte le travail des scientifiques dans ce domaine. Rappelons qu'avant toute
autorisation de mise en culture chaque OGM est l'objet, au cas par cas,
d'évaluations approfondies tant au niveau national qu'européen. L'impact sur
l'environnement de même que la sécurité sanitaire sont aujourd'hui évalués au plan
national par la Commission du génie biomoléculaire (CGB) et/ou l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) puis au plan européen par
l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA). L'autorisation de mise
en marché ne peut être obtenue qu'après consultation de ces deux niveaux. Le
seul OGM actuellement cultivé en Europe avait obtenu, des instances nationale
et européenne de l'époque, un avis favorable.
Sur quelles bases alors remettre en cause
ces travaux ? Comment expliquer à nos concitoyens que l'on suspende
aujourd'hui, sans éléments scientifiques nouveaux solidement argumentés, la
culture d'un OGM qui a été autorisé par toutes les instances nommées par le
gouvernement et leur demander d'avoir confiance, demain, dans les avis des
prochaines autorités mises en place ?
Nous regrettons que la parole des
scientifiques ait été totalement inaudible dans ce débat où la passion
l'emporte souvent sur la raison. Leur mission n'était-elle pas, et d'ailleurs
ne sont-ils pas les seuls à pouvoir le faire, d'évaluer, dans des conditions
précises et nécessairement au terme de nombreux essais en plein champ, l'impact
des OGM sur la santé et l'environnement?
Tout en reconnaissant que les choix
politiques peuvent reposer sur d'autres critères que les seules analyses
fournies par les scientifiques, nous demandons que le rejet de ces dernières ne
soit pas les raisons avancées pour des décisions dont les fondements sont tout
autres. Dès lors le sérieux des études scientifiques doit être affirmé, respecté
et défendu, alors que de nombreux scientifiques français ont été publiquement
vilipendés, diffamés, voire physiquement menacés, leur probité et leurs
compétences ont été remises en question parce qu'ils n'avaient pas l'heur de se
joindre au concert assourdissant des critiques contre les OGM.
En sapant la légitimité de la parole
scientifique caractérisée par une demande de rigueur, ceux qui s'opposent par
principe aux OGM souhaitent empêcher que la première pierre d'une confiance
partagée sur ce dossier ne soit posée et par là s'opposent au souhait du
gouvernement d'en débattre avec objectivité.
Il est toujours plus aisé de susciter
l'inquiétude en entretenant la confusion, en martelant des slogans et en
convoquant la presse à chaque fauchage qui peut détruire des années de
recherche, que d'expliquer simplement, par la vulgarisation, les mécanismes
scientifiques et techniques mis en oeuvre pour l'obtention des OGM et pour
analyser leurs impacts éventuels sur la santé et l'environnement. Il est plus
qu'urgent de diffuser les résultats des études scientifiques et d'entreprendre
un important travail de pédagogie.
Rappelons que les biotechnologies végétales
sont l'application, dans le domaine agronomique, du génie génétique qui est
aujourd'hui à la base de progrès majeurs dans l'industrie pharmaceutique. Par
exemple, près de 40% des nouveaux médicaments en sont issus.
L'Europe, et plus particulièrement la
France, a été l'une des pionnières des biotechnologies végétales. Pour de
multiples raisons qui ne doivent rien à l'incompétence de nos chercheurs, ce
sont désormais d'autres nations qui sont à la tête du progrès scientifique dans
ce domaine.
Nous sommes donc particulièrement inquiets
pour l'avenir de la recherche française et de la compétitivité de notre filière
agro-industrielle. Pour progresser dans ces domaines, la connaissance doit en
effet s'appuyer sur des expériences nombreuses, y compris en plein champ, ces
mêmes champs qui sont chaque année saccagés.
Le nombre d'expérimentations en France n'a
cessé de chuter. Une centaine en 1997, issue d'une recherche privée et publique
encore dynamique, treize en 2007, essentiellement pour le compte d'entreprises
étrangères. Nos jeunes chercheurs, formés en France dans des centres de
recherche en biologie et en agronomie réputés dans le monde entier,
s'expatrient peu à peu. Ils savent que dans l'Hexagone leur travail sera
discrédité, détruit ou qu'il ne pourra trouver d'application concrète. A
l'inverse, des pays comme les Etats-Unis, la Chine, l'Inde ou le Brésil investissent
massivement dans ces domaines. En 2007 près de mille essais sur de nouveaux OGM
ont été menés aux Etats-Unis. Alors qu'on assiste à un foisonnement d'idées et
de réalisations nouvelles à l'étranger, nous sommes de plus en plus exclus de
la recherche sur de nouveaux OGM. Nous ne maîtriserons bientôt même plus les
aspects techniques de cette méthode d'amélioration des productions végétales.
Notre risque, soit de manque de compétitivité, soit de dépendance en matière de
semences et donc de production agricole, est bien réel.
Déjà l'intérêt technique, économique et
écologique des OGM actuels est net, ce qui explique leur culture sur plus de
100 millions d'hectares en 2006 dans de nombreux pays développés et en
développement. Nous savons aussi que des recherches actuelles ouvrent des
perspectives passionnantes : plantes qui consomment moins d'eau, qui valorisent
mieux l'azote, qui résistent à des parasites, plantes dont la production
réclame moins d'énergie, qui participent à la dépollution des sols, plantes
dont les propriétés nutritionnelles et sanitaires sont améliorées, plantes
produisant de nouvelles molécules pour la production de médicaments, plantes
enfin produisant de nouvelles matières premières renouvelables pour
l'industrie. La recherche doit donc pouvoir s'exprimer pleinement.
La poursuite d'une évaluation stricte, au
cas par cas, de chaque nouvel OGM doit rester la règle, garante de la bonne
gouvernance et la base d'une confiance partagée sur ces sujets. Mais sans
respect de la légitimité des expertises scientifiques, aucune confiance ne
pourra être bâtie pour le développement apaisé des biotechnologies végétales.
*Liste des signataires :
Benveniste Pierre (Académie des Sciences),
Bost Pierre-Etienne (Académie des Technologies), Boudet Alain (Ac Tech),
Caboche Michel (Ac Sciences), Combarnous Alain (Ac Tech et Ac Sciences), Dattée
Daniel (Académie d'Agriculture) Dattée Yvette (Ac Agr), Daugeras Bernard (Ac
Tech), Décamps Henri (Ac Sciences), Delaage Michel (Ac Tech), Delseny Michel
(Ac Sciences), Desmaret Patrice (Ac Agr et Ac Tech), Devaux Pierre (Ac Agr),
DouceRoland (Ac Sciences), Dumas Christian (Ac Sciences), Feillet Pierre (Ac
Agr et Ac Tech), Fillet Pierre (Ac Tech), Gallais André (Ac Agr), Galle Pierre
(Ac Sciences), Gros François (Ac Sciences et Ac Tech), Isambert Jean-François
(Ac Agr), Jarry Bruno (Ac Tech), Joliot Pierre (Ac Sciences), Karcher Xavier
(Ac Tech), Le Buanec Bernard (Ac Agr et Ac Tech), Lehn Jean-Marie (Ac Sciences
et Ac Tech) Lewiner Jacques (Ac Tech), Louisot Pierre (Ac Agr et Ac Tech),
LunelJean (Ac Tech), Ménoret Yves (Ac Agr), Monsan Pierre (Ac Tech), Mounolou
Jean-Claude (Ac Agr), Nougarède Arlette (Ac Sciences), Pascal Gérard (Ac Tech
et Ac Agr), Pavé Alain (Ac Tech et Ac Agr), Pelletier Georges (Ac Sciences et
Ac Agr), Pernollet Jean-Claude (Ac Agr), Rives Max (Ac Agr), Simon Michel (Ac.
Agr), Stern Jacques (Ac Tech).