Le Parti socialiste est devenu une coquille vide

 

« Les étiquettes sont commodes. Elles permettent aux électeurs de se prononcer sans examiner les projets qui leursont présentés »

 

Par André Grjebine*

 

Lénine caractérisait, en 1920, le gauchisme comme la maladie infantile du communisme. Presque un siècle plus tard, Ségolène Royal serait- elle l’ultime avatar d’une maladie sénile de la gauche française ? Celle- ci n’a pas seulement été nettement vaincue et s’apprête à l’être une nouvelle fois. Elle paraît ne plus être qu’une coquille vide. Contrairement à ce que les partisans de Mme Royal voudraient nous faire croire, son échec annonce moins une ère nouvelle qu’il n’est l’aboutissement d’une longue histoire, plus exactement d’une longue rupture de la gauche avec le réel.

 

Les 16 900 000 suffrages que Ségolène Royal a obtenus et qu’elle s’évertue à mettre en avant sont trompeurs. D’abord, parce que les circonstances étaient exceptionnellement favorables. La probabilité d’un succès de la gauche était d’autant plus grande qu’elle avait perdu les deux élections présidentielles précédentes et que l’hostilité répandue à l’égard de Nicolas Sarkozy facilitait sa tâche. À la veille de sa désignation, le ( la) candidat( e) socialiste était donné( e) comme « imbattable ».

 

Selon un sondage Ifop réalisé du 9 au 23 mai pour le Cevipof, un tiers des électeurs deMme Royal ne se sont prononcés que par antisarkozysme, ce n’est donc qu’environ 11 millions d’électeurs qui ont exprimé un vote « positif » en sa faveur.

 

Encore faut-il distinguer parmi ces derniers ceux qui lui ont fait confiance et ceux qui auraient voté pour n’importe quel candidat se réclamant de la gauche. La motivation anti-Royal n’expliquerait, par contre, qu’à peine plus de 10 % des suffrages qui se sont portés sur M. Sarkozy.

 

Les médiocres résultats obtenus par la gauche sanctionnent son incapacité de cerner le réel et donc de le réformer. En dix ans de direction, François Hollande, plutôt que de rénover la pensée du PS, a surtout tenté de concilier les exigences contradictoires de toutes ses tendances. D’où le caractère archaïque et incohérent du projet élaboré l’année dernière. Avec Ségolène Royal, la gauche a franchi un nouveau cap. Après s’être longtemps enfermée dans un marxisme archaïque, elle a renoncé à toute doctrine structurée, en ne gardant de son ancienne vision que son manichéisme.

 

La rhétorique marxisante ne séduit plus qu’une frange réduite de l’électorat. L’antilibéralisme et sa variante altermondialiste ne parviennent guère à convaincre (selon un sondage LH2-Libération du 22/5/2007, 14 % seulement des sympathisants de gauche souhaitent que le PS « prenne plus clairement une orientation antilibérale » ).

 

Mais, apparemment, sympathisants et militants ont du mal à renoncer à une perspective utopique. En se réclamant d’une socialdémocratie pragmatique, Dominique Strauss-Kahn a suscité leur méfiance. Ségolène Royal, elle, a su exploiter cette aspiration en transcendant le vide du projet socialiste par une posture mystique et des références religieuses que l’on attend davantage d’un prédicateur que d’un candidat politique, a fortiori quand il se réclame de la laïcité. Elle est apparue plus soucieuse d’exalter ses fidèles et de materner la société française que d’élaborer un projet pour la réformer. Mais,qu’importe le projet pourvu que l’étiquette demeure.

 

Les étiquettes sont commodes. Elles permettent aux électeurs de se prononcer sans examiner trop attentivement les projets qui leur sont présentés, pas plus que les comportements des candidats et de leur entourage. On supposera ainsi qu’un candidat qui se prévaut de la gauche va défendre avec davantage d’acharnement les intérêts des plus défavorisés, sans qu’il soit nécessaire de vérifier la logique de son projet et en oubliant qu’une politique bien intentionnée peut conduire à des résultats désastreux pour ceux- là même qu’elle entend privilégier.

 

Les étiquettes ont une autre fonction essentielle. Elles déterminent une reconnaissance sociale. Suivant les milieux, il est entendu qu’on est de gauche ou de droite, sans avoir à le justifier ni même à expliciter ce que signifie l’étiquette dont on se réclame. On ne saurait en changer sous peine de devenir infréquentable. A contrario, au cours des derniers mois, dans certains milieux, le « tout sauf Sarkozy » a puissamment servi au renforcement du lien social, prenant parfois l’apparence de séances de communion dans une même répulsion conjuguée sous toutes les formes.

 

Les militants socialistes qui se sont prononcés en faveur de Ségolène Royal lors des primaires de leur parti paraissent s’être laissé guider par des sondages flatteurs et par le souci d’éviter un débat qui aurait fait ressortir leurs contradictions, plutôt que de s’interroger sur la cohérence de sa stratégie et sur sa capacité de représenter la gauche. Obnubilés par sa formidable combativité, ils persistent aujourd’hui à fermer les yeux sur le caractère suicidaire d’une démarche fondée sur l’improvisation et l’émotion. L’absence de cohérence ne semble pas gêner, non plus, de nombreux sympathisants. Comment expliquer autrement que, selon le sondage cité, une majorité d’entre eux souhaitent simultanément une alliance du PS avec la LCR de Besancenot et avec le Mouvement démocrate de Bayrou ? Reste à savoir si l’étiquette peut longtemps servir d’alibi et la lévitation, tenir lieu de projet politique. Une gauche exsangue ne devra-telle compter que sur d’éventuelles bévues du président élu pour accéder un jour lointain au pouvoir ?

 

* Directeur de recherche à Sciences Po-Ceri.