Publié le 04/09/2008 N°1877 Le Point


Comment trouver 1,5 milliard d'euros ?


Jacques Marseille



En annonçant à Changé, en Mayenne, le 28 août, la mise en place d'une taxe additionnelle de 1,1 % sur tous les revenus du patrimoine et des placements pour financer le revenu de solidarité active (RSA), Nicolas Sarkozy n'a pas fait preuve d'une très grande créativité fiscale. Certes, avec ce nouvel impôt sur l'épargne, il a placé la gauche en porte-à-faux, s'est vu féliciter par Michel Rocard, l'inventeur de la CSG, et a montré-au moment bien choisi de l'ouverture de l'université du Medef-qu'il n'était pas l'homme lige du patronat. Mais en choisissant de financer par un impôt nouveau une somme aussi « misérable » que 1,5 milliard d'euros- « des clopinettes », proclamait il n'y a pas si longtemps Martin Hirsch-, il démontre par la même occasion que, sur les 1 000 milliards d'euros, ou à peu près, que représente l'ensemble des dépenses publiques, il est impossible d'en économiser un peu plus d'un millième. De bon augure avant l'examen du budget pour 2009 ! Reste qu'en termes de communication politique il aurait pu collecter plus de « bénéfices » sans prendre le risque de mécontenter les 12,5 millions de Français possédant un contrat d'assurance-vie, les 2,2 millions de Français percevant des revenus locatifs et les 11 millions de Français détenant des valeurs mobilières.


Quitte à vouloir taxer le « capital » et à vouloir encourager le travail pour sortir rapidement 700 000 personnes de la pauvreté-ce qui est un objectif éminemment louable-, on pouvait faire beaucoup mieux sans prélever plus.


On pouvait par exemple-puisqu'il s'agit de permettre à ceux qui étaient sortis du marché du travail d'y rentrer par le haut-s'attaquer-quitte à embaucher de nouveaux fonctionnaires-au travail dissimulé, dont on estime à 55 milliards d'euros pour le moins les pertes annuelles pour les caisses de l'Etat, soit près de 40 fois le rendement du nouvel impôt proposé, pratiquement le montant de l'impôt sur le revenu et plus que le déficit du budget.


Encourager le travail légal des uns en combattant les entreprises qui utilisent le travail illégal des autres : le bénéfice politique aurait été immense et la « gauche »-puisque c'est elle qu'il faut impérativement caresser-aurait sans doute applaudi avec encore plus de vigueur ce grand combat moralisateur. Sans compter que l'immense majorité des entrepreneurs, sensibles à la morale, n'auraient, non plus, trouvé rien à redire à ce qu'ils considèrent comme une concurrence particulièrement déloyale. Utilisation de stages pour dissimuler un travail réel ou introduire de jeunes ressortissants étrangers, création d'entreprises fictives, sociétés écrans, faux statut d'intermittents dans le secteur du spectacle vivant et les grandes tournées d'artistes, déclaration d'activités fictives pour atteindre le nombre d'heures suffisant pour bénéficier des allocations de chômage, emploi d'une main-d'oeuvre étrangère sans titre de travail, en particulier dans l'agriculture, recours à de faux stagiaires par des associations dépourvues d'agrément, faux entrepreneurs agricoles, recours à la fausse sous-traitance, notamment pour les travaux de nettoyage, détournement du statut de franchisé dans l'hôtellerie de chaîne grâce à des montages sophistiqués, fausses prestations de services assurées par des sociétés étrangères dans le secteur du tourisme d'hiver ou d'été, voilà les principales voies de ce travail dissimulé-parfaitement connues-qui n'est pas seulement « au noir ».


Cinquante-cinq milliards d'euros à récupérer par une action « mains propres » de grande envergure : cela aurait quand même plus d'allure que de taxer de 1,1 % les revenus de l'épargne de Français plus « moyens » que « riches ». Des « riches » qui, par l'effet du bouclier fiscal, pourraient d'ailleurs y échapper largement.


Si le but était de taxer davantage les « hyper-riches », les 0,01 % de Français dont les revenus ont fortement augmenté au cours des dix dernières années, il y avait d'autres pistes plus fructueuses. Soumettre au droit commun les 8,6 milliards d'euros de stock-options distribuées par an à environ 100 000 personnes rapporterait par exemple 3 milliards d'euros. Tout comme soumettre au même régime les « parachutes dorés » distribués à 51 000 dirigeants rapporterait 700 millions d'euros.


Obliger l'Etat à aligner les cotisations patronales des fonctionnaires pour les risques maladie-maternité-invalidité et famille sur celles du privé et soumettre les primes versées aux fonctionnaires (soit environ 20 % de leur rémunération) aux cotisations sociales, 4,5 milliards d'euros. Imposer une taxe de 100 euros par an-une « misère » pour Vincent Bolloré-aux 4 millions de plaisanciers, 400 millions d'euros. Taxer de 1 euro supplémentaire les 13 millions de cigares consommés en France par les 200 000 fumeurs de ce signe ostentatoire, 13 millions d'euros. Taxer de 10 % supplémentaires les montres de luxe, dont le marché (1,2 milliard d'euros) a augmenté de 22 % en 2007 après 29 % en 2006, 120 millions d'euros...


Autant de pistes d'innovation fiscale que Claude Allègre pourrait mettre au programme que lui a confié le président pour démontrer qu'en France on peut avoir de meilleures idées que celle, aussi éculée, d'imposer de 1 point de plus l'épargne de précaution que l'immense majorité des Français se constitue par peur de l'avenir.