Quand les socialistes réinventent l’eau tiède

18/12/2007 | Mise à jour : 11:39 |

La chronique d’Yves de Kerdrel du 18 décembre 2007.

«Méfiez-vous des gens qui parlent de renouveau, écrivait Montesquieu, c’est qu’ils cherchent à produire avec des mots, des effets qu’ils ne savent pas produire avec des idées.» On ne saurait mieux résumer le travail dit de «renouveau» entamé par le Parti socialiste ce week-end. Un travail initié avec le thème de l’économie de marché.

Au moment où les particuliers chinois placent toute leur épargne à la Bourse de Shanghaï, où l’Europe centrale montre chaque jour à quel point elle a su apporter une réponse appropriée aux défis de son insertion dans le monde libéral, et où seuls Cuba et la Corée du Nord restent au ban de l’économie de marché qui a accompagné la mondialisation, c’est assez sympathique de voir quelques éléphants socialistes se pencher sur la question. Le rapport réalisé notamment par Harlem Désir, et qui est davantage rempli de fautes d’orthographe que d’idées percutantes, constitue un morceau d’anthologie.

D’abord parce qu’à trop embrasser, il étreint bien mal des sujets comme le marché, la place de l’État, la régulation, le partage de la création de richesse, mais surtout les conditions de cette création de richesse. Et les deux seuls sujets sur lesquels il montre une certaine cohérence sont ceux qui concernent le développement durable et la nécessité d’une «forme de mondialisation solidaire». Ce qui ressort du même coup, c’est le vide de la pensée socialiste concernant la mondialisation et l’économie de marché. Le rapport ne veut pas assumer ces deux notions, à la différence de ce qu’ont fait les travaillistes britanniques, les sociaux-démocrates allemands, les socialistes espagnols et même la plus grande partie de la gauche italienne. Du même coup, cette trentaine de feuillets ressemble à un long filet d’eau tiède, à côté duquel même la prose de Lionel Jospin paraissait plus claire.

Le deuxième point curieux de ce rapport s’attache à la manière dont doivent être réparties les richesses créées par l’économie de marché. Redistribution, répartition, réduction des inégalités font partie de la logorrhée socialiste et du fonds de commerce traditionnel de la gauche. Mais ces mots auraient plus de poids dans ce rapport s’il était expliqué comment on optimise la création de richesse, de manière à pouvoir ensuite effectuer cette éventuelle grande redistribution au banquet de l’État, dans la tradition des accords Matignon ou Grenelle. Et à la lecture des quatre pistes, gentillettes et archaïques, formulées pour relancer la croissance, les édiles de la Rue de Solferino risquent de tomber de haut lorsqu’ils prendront connaissance des conclusions de la commission Attali.

Le troisième point frappant de cette réflexion, c’est qu’elle est censée marquer la première étape du renouveau de la pensée socialiste en France. Si tel est le cas, le parti a encore beaucoup de travail à faire, à moins qu’il abandonne cette idée de «renouveau». Surtout on comprend mieux désormais, à la lecture de ce catalogue de bonnes intentions, pourquoi les éléments les plus éminents de la gauche ont préféré rejoindre la majorité, et avec elle une vision plus réaliste de la mondialisation et de l’économie de marché.

Il reste que tout au long de ce rapport revient la lancinante question de la place de l’État dans l’économie. Depuis que Lionel Jospin a affirmé, en pleine affaire Michelin, «l’État ne peut pas tout», les socialistes sont gênés aux entournures. Ils voudraient voir l’État intervenir davantage. Mais où ? Comment ? Quand ? Et selon quelles modalités alors que Bruxelles et les lois de la gravitation universelle poussent dans un sens contraire ?

Le simple fait qu’un parti qui a rassemblé autour de sa candidate 47% des voix à la dernière élection présidentielle se pose cette question avec une telle acuité est troublant. Cela prouve que le gouvernement actuel a encore un travail de pédagogie énorme à mener. Car la France, on a tendance à l’oublier, est le pays occidental où l’État est hélas le plus présent. Plus de 54% de la richesse nationale est absorbée par la dépense publique. Ce qui représente environ 1 000 milliards d’euros par an. Et si nous revenions à des étiages plus en phase avec nos compétiteurs, notamment l’Allemagne, l’État pourrait dégager 150 milliards d’euros d’économies par an, soit trois fois le montant de l’impôt sur le revenu.

Ce sujet est aujourd’hui la question majeure pour la droite comme pour la gauche. Les deux doivent se poser les questions suivantes : quels services l’État doit-il assumer ? Les rend-il bien ? Au meilleur coût ? Sinon doit-il s’en décharger au profit de prestataires extérieurs ? C’est le travail que le Comité de suivi des politiques publiques placé sous la responsabilité de Claude Guéant, de Jean-Paul Faugère, le directeur de cabinet du premier ministre, et de Michel Pébereau, le président de BNP Paribas, a commencé à mener en passant déjà au peigne fin 20% de la dépense publique. Ce qui a donné lieu à 96 mesures pratiques de simplification de la vie administrative. Mais l’essentiel, c’est bien de répondre à la question : en 2008, pour avoir un pays agile et désireux de renouer avec la croissance, comment reconfigurer la place de l’État, et donc son coût. À voir les travaux rendus publics cette semaine, à droite comme à gauche, on peut constater que le renouveau et le progrès ne sont pas du côté où on les claironne.